Temps critiques #12

À Montpellier, le ciel est vide

, par Jacques Guigou

E come li stornei ne portan l'ali
nel freddo tempo, a schiera larga e piena,
cosí quel fiato li spiriti mali
di qua, di là, di giú, di sú li mena
Dante, Inferno

Hier, encore, les étourneaux s'arrêtaient à Montpellier. Étaient-ce les rares vestiges de ce qui avait été une ville — des toits aux tuiles accueillantes, un Jardin des plantes, des allées de platanes et même quelques arpents de vignes — qui, l'automne venue, leur permettaient de surmonter l'hostilité absolue de ce n'est qui plus désormais qu'un espace urbain destiné à « créer de la valeur » ?

Pourtant, étape nécessaire de leur migration saisonnière, les étourneaux s'arrêtaient à Montpellier. Au lever du jour, celles et ceux qui parviennent encore à distinguer un vol d'oiseaux de son image sur une carrosserie de tramway ou sur un économiseur d'écran d'ordinateur, pouvaient alors se laisser ravir par leurs tourbillons erratiques qui assombrissent soudainement le ciel comme pour nous envelopper dans le frissonnement caressant de la multitude des ailes.

Mais pour les fétichistes des prothèses automobiles et donc pour leurs clones politiciens, un vol d'étourneaux n'est rien d'autre qu'un lâché de fientes. Cette détermination naturelle, commune aux espèces animales et humaines — avant qu'elle ne soit, elle aussi, résorbée par un i.a.e. (Inhibiteur artificiel d'excréments) — est désormais intolérable.

A l'encontre du poète qui, à Florence, voyait dans les vols d'étourneaux « ce souffle qui arrache un tas d'esprits mauvais », les actuels porteurs de prothèses émettent leurs signaux négatifs contre ce tas de matière mauvaise et réclament qu'on l'arrache au plus vite de l'espace de leur « technopôle ».

Les biotechnologies n'ayant toujours pas réussi à créer des étourneaux sans fientes — ah, le bel événement « culturel » que cela ferait ; un véritable festival mondial de la nouvelle identité des étourneaux démocratisés ! — ces oiseaux doivent donc disparaître. Comme il y a quarante ans l'État avait anéanti les moustiques, pour les mêmes raisons, mais portées aujourd'hui à un degré bien supérieur de capitalisation, sur ordre de la municipalité, les étourneaux viennent d'être bannis de Montpellier.