Temps critiques #17

Salariat et précarité : condition et luttes du travailleur précaire

, par C. Gzavier

Nous partirons du travail théorique développé par la revue Temps critiques1 quant à la perte de centralité du travail vivant dans le procès de valorisation. Nous prendrons ici le temps d’en cerner les conséquences quant à la précarité pour le travailleur au travers de notre propre expérience2.

À partir du CPE3

Le mouvement contre l’ensemble de la loi dite « pour l’égalité des chances » et son fameux Contrat Première Embauche (CPE) a exprimé chez les jeunes et surtout de la part des étudiants, un refus de la précarité. Des universités est monté un discours mettant en avant un diplôme qui « valorise » son porteur par l’acquisition d’un certain savoir qui lui offrirait une garantie de situation dans le futur emploi. Mais durant le CPE personne ne voulait discuter le fait qu’un diplôme ne vaut pas grand-chose, en lui-même, sur le marché du travail. D’ailleurs la seule crainte de la « dévaluation » du diplôme entraînait automatiquement une part d’adhésion à ce mouvement. C’est donc l’idéologie républicaine de « l’égalité des chances » qui prévaut et une conception pour le moins optimiste de la qualification par le diplôme alors que la situation immédiate sur le terrain est loin de correspondre à cette attente. Dans la plupart des cas la situation actuelle des étudiants est, de fait, de participer au monde du travail tel qu’il se dessine aujourd’hui, c’est-à-dire dans une tendance au brouillage des catégories traditionnelles qui séparaient actifs et inactifs, chômeurs et stagiaires, étudiants et travailleurs, etc. En effet, l’étudiant de par sa position objective instable et temporaire peut faire office de variable d’ajustement idéal notamment par le biais de l’intérim et bien sûr par le développement de « petits boulots étudiants » qui se distinguent de moins en moins des « petits boulots » tout court que connaissent des salariés qui exercent leur activité aux marges de l’emploi pérenne. Dès lors on pouvait s’attendre à un questionnement quant à la nature du travail, sa place dans la vie, les relations qui le fondent, etc. Rien de cela n’a alimenté les Assemblées générales ni des commissions ad hoc sauf exception. Remarquons que l’impensé sur ce point et l’absence d’un débat sur la place du travail dans la société capitalisée n’est pas le propre des seuls étudiants. On ne retrouve pas de réflexions à ce sujet dans plusieurs mouvements par exemple celui des retraites d’octobre–novembre 20104.

L’entre-deux des étudiants

Les étudiants actuels n’ont pas une réelle connaissance du travail du fait de leur situation particulière qui est d’avoir un rapport très distendu avec le travail concret et ce qu’ils peuvent accomplir dans ce cadre. En effet, toute une partie des étudiants est de passage à l’université pour préserver une situation d’entre-deux, un peu étudiant/un peu travailleur ; un peu en famille/un peu indépendant. Ils respirent par les pores de la société sans en revêtir vraiment la peau. Ainsi, ils tentent d’échapper le plus longtemps possible à l’emploi salarié ceci en vivant aux frais de leur famille ou grâce à des bourses universitaires du CROUS. Cela fait que même quand il y a une critique du travail qui émerge dans la lutte, vu les conditions sociales objectives encore largement protectrices en France, elle ne produit pas de grande rupture, ni pratique ni théorique.

Les luttes étudiantes récentes ont donc plus été irriguées par un mécontentement diffus quant à l’avenir peu sécurisé que la société réserve à ses étudiants que par une remise en cause de ce qu’est le travail lui-même. Il faut voir qu’il y a aujourd’hui une masse énorme d’étudiants dans les universités issues du volontarisme de l’État5. Avec l’injonction du bac pour 80 % des élèves d’une génération, l’afflux est problématique pour les universités qui rêvent tant de l’excellence. Et ces étudiants n’ont malgré tout pas de statut propre comme le souhaitent tant les syndicats6 avec la revendication d’un salaire/revenu étudiant alors que la situation d’entre-deux se généralise et se prolonge.

Ainsi, pour une part non négligeable d’étudiants persuadés que l’Université constitue encore un moteur d’ascension sociale et l’assurance d’accéder à une position sociale supérieure à celle de leurs parents ou au moins égale à celle qu’ils ont eux acquise avec les années, c’est la douche froide. Alors que, du fait de leurs études, ils reportent à plus tard le moment de leur indépendance financière et sociale, la menace du CPE vu au mieux comme nouveau sas entretenant la situation d’entre-deux et au pire comme relégation aux marges du salariat a eu des conséquences importantes. En refusant les conditions discriminatoires du CPE parce qu’elles semblaient condamner les jeunes aux emplois précaires et sous-payés (comme le projet de CIP de 1994), le mouvement anti-CPE n’a pas développé de critique liée à l’expérience du travail acquise au gré des petits boulots pour étudiants ou même en tant qu’étudiants-travailleurs pour les plus engagés dans le monde du travail. Et en tout cas ces expériences ne furent jamais mises en commun. Comme c’est le « fond » qui manquait le plus, l’expérience de la lutte s’est centrée sur la forme et c’est d’ailleurs une caractéristique de beaucoup de luttes au cours de ces dernières années7.

Cette stratégie dans laquelle se sont insérés les étudiants en lutte a donné forme à l’expérience caractéristique des bloqueurs qui, on le sait, étaient minoritaires numériquement, mais dont la force agissante fut représentative, en partie par procuration, de l’ensemble du mouvement. C’est cette force agissante qui a fait mouvement en se dégageant des divergences d’intérêt immédiat. Dès lors, les cursus « professionnalisants » qui fleurissent de toutes parts furent largement critiqués pendant la lutte tandis que, paradoxe, beaucoup d’étudiants les demandent et s’y rendent avec ferveur par temps calme. On le comprend, l’idéal d’un savoir pour tous, émancipateur et désintéressé, est une donnée dont on laisse la défense aux franges les plus remuantes tandis que la majorité des étudiants compose bien plus pragmatiquement et sans état d’âme. En effet, les étudiants sont en fait grandement tenus par une sorte de promesse sociale, de la part de l’État, d’un avenir meilleur, ce qui fait barrage à tout débat sur la nature et le contenu de cette promesse. Pourtant l’horizon immédiat proposé pour une réussite en second cycle est largement mis en question par la situation d’entre-deux de beaucoup d’étudiants, car « étudiants-travailleurs » est une situation pour le moins difficile à assumer… et à rentabiliser.

La complexité de ce statut d’étudiant-travailleur s’est manifestée dans la lutte anti-CPE et LRU par les différences d’approche entre ces étudiants salariés et ceux qui donnaient tout leur temps au blocage. Cela ne veut pas dire que la ligne de démarcation classique entre bloqueurs et anti-bloqueurs se greffe sur cette différence, mais elle permet d’en comprendre certains des aspects. Il n’était en effet pas donné à tout le monde de pouvoir rester des heures et des jours à bloquer une université. Plus encore toute une part des étudiants travaillant pour le CROUS par exemple se trouvait prise entre d’un côté la nécessité de survivre et donc de continuer à travailler et de l’autre un refus général d’une situation concrète où l’emploi précaire comme seule perspective d’emploi à court terme. On le voit les positions pouvaient donc être multiples et non figées. Elles évoluaient selon le rythme du mouvement, les rapports de force et les impératifs de la lutte en cours. Le mouvement étant large à sa base la jonction se faisait… ou pas avec des tensions grandissantes. Dans les derniers mouvements comme celui contre la LRU les oppositions entre les factions anti-bloqueurs et bloqueurs n’ont pas manqué de plomber les luttes en monopolisant les sujets de discussion au cours des AG.

De fait la frange des étudiants-travailleurs est dans une position bien différente de celle des autres étudiants qui véhiculent une vision générale et surplombante de l’université de laquelle les premiers ne voient qu’une partie, celle qui leur est concédée. Leur entre-deux n’est pas de même nature. S’ils ont bien un « statut » universitaire d’étudiants-travailleurs qui les dispense d’assiduité, ils n’ont pas de statut sur leur lieu de travail occasionnel et ils sont donc sans « garanties ». On pourrait dire qu’ils sont à la fois trop « insérés » dans l’emploi pour ne pas en dépendre et d’un autre coté pas assez pour bénéficier des potentialités de l’emploi si l’on parle en termes de CDI. Pourtant devenir étudiant-travailleur est une manière de tout concilier et aussi de préparer l’après des études. C’est se greffer sur la réalité que représente la condition salariale et donc en expérimenter ses conditions. Ces caractéristiques de l’emploi étudiant, un grand nombre les retrouveront directement lors de la fin de leurs études où on leur demandera non pas seulement une formation générale réelle, mais aussi une expérience qu’ils n’ont pas. Pris sous le double handicap du primo arrivant sur le marché du travail et dans un contexte où l’emploi est rare, émerger n’est pas évident. Les ex-étudiants ont donc souvent des parcours qui alternent jobs, stages et chômage ou même RSA quand ils en ont le droit.

Partant du CPE comme exemple de mouvement de refus de la « précarité » sans que cela corresponde à une perspective précise, à part un refus de l’existant de la part de la frange motrice du mouvement, nous arrivons à une condition étudiante qui s’accommode assez bien de la réalité actuelle du marché du travail. Les conditions qui le caractérisent sont acceptées le temps des études pour certains tandis que pour d’autres cela semble être le seul horizon envisageable, mais dans une position qui n’est plus celle de l’entre-deux de l’étudiant-travailleur, mais celle du travailleur-précaire.

Des jobs étudiants au travail précaire

Comme pour les étudiants-travailleurs, beaucoup de travailleurs dits « précaires » sont aujourd’hui dans une situation que nous voyons comme un entre-deux, à la fois avec un emploi, mais aussi à la porte d’entrée de ce monde si structurant de la société du capital. Nos réflexions dans cette partie du texte pourront paraître parfois généralistes ou sans accroche ni référence directe à une lutte, pourtant elles sont bien la résultante de celles que nous avons traversées.

Le travail intérimaire est l’archétype du travail précaire, car il prend la forme du job sur des temps courts et une expérience parcellaire à la fois peu valorisante pour soi et peu valorisée socialement. Mais ce travail proposé en intérim est-il si différent de celui proposé dans maints emplois peu qualifiés des très petites entreprises (TPE) de certains secteurs comme le bâtiment ou les services et pourtant dotés de contrats en CDI ? Non, nous ne le pensons pas, d’autant que le dernier projet de loi sur la sécurisation des emplois prévoit l’octroi de CDI au sein même de l’intérim, tenant ainsi compte d’une pérennité de l’emploi en général, quel que soit le type d’entreprise à l’origine du contrat. En conséquence, la différence entre emploi fixe (tout est relatif) et intérimaire devient plus difficile tant on met ces emplois (dans les TPE, les services à la personne, etc.) aux marges du travail tel qu’il était valorisé dans la société du travail dont les Trente glorieuses nous fournissent à la fois le modèle et son point d’implosion.

Dans ce type d’emploi, l’expérience du travail est la plupart du temps très pauvre, car il concerne surtout des postes sans qualification. Il n’empêche qu’une différenciation se produit sur le même type de travail en fonction du statut ou du type de contrat d’embauche, celui-ci déterminant souvent une autre appréciation du travail. Par exemple, l’intérimaire, force de travail d’ajustement au niveau d’activité conjoncturelle, est perçu par les salariés fixes comme celui qui semble accepter tous les types de conditions de travail (sous-entendu y compris les plus dures). Ces autres travailleurs vont donc souvent adopter une position défensive, car ils voient dans ces conditions de travail leur possible sort futur. En conséquence, cela les amène à rechercher non pas l’unité des différentes catégories de travailleurs, mais la préservation des différences et donc à mettre en avant des revendications pour la défense des acquis. En théorie, cette différence devrait encore être accentuée par la durée très limitée du contrat intérimaire qui fait que pour ce type de salarié, il relèverait de la plus grande « fausse conscience » de vouloir réellement bien faire son boulot là où il n’a rien à en attendre d’autre qu’un modeste revenu… C’est en cela que c’est une expérience pauvre et qu’elle correspond le plus parfaitement à la formule critique tant utilisée dans les années 1960-1970 : « Perdre sa vie à la gagner ». Mais, l’absence de sens concernant sa propre activité salariée dépasse aujourd’hui les limites du seul intérim ou des CDD renouvelables à répétition. Tentant de freiner cette réalité le management moderne veut redonner sens à des activités qui ne « parlent » plus ou presque à beaucoup et ce à cause d’une parcellisation des tâches très importantes ou d’une dépossession par la technique voire d’injonctions paradoxales incessantes. On pourra ainsi se référer au livre de R. Sennett Le travail sans qualité qui note bien comment le temps qui permettait à tout travailleur de maîtriser l’ensemble de son outil, ses différentes dimensions, n’est plus la base lui permettant de se reconnaître dans le travail et réaliser sa professionalità comme disaient les Italiens, même si c’est dans le contexte d’une société d’exploitation. Mais un processus qui ne touchait encore guère les ouvriers professionnels avant les années 1970, s’est désormais généralisé, y compris aux techniciens et parfois aux cadres moyens. Plus précisément, souvent pris dans des procédures remettant en cause la structure même de l’activité du salarié (pensons au lean management8 par exemple), le salarié se voit mis en cause dans ses capacités personnelles alors que c’est la structure du procès de production et les méthodes de management qui posent problème.

Revenons à la question de l’entre-deux de l’emploi précaire, position inconfortable, mais tout à fait prise en compte par l’État-réseau dont on ne saurait négliger les capacités d’adaptation dans la mesure où son efficience supposée repose sur une gestion au plus près et au cas par cas. Le RSA (revenu de solidarité active) est, l’exemple d’un revenu social qui a pour objet de pallier aux insuffisances du marché du travail puisque celui-ci n’est pas un marché comme un autre et que ce qui s’y échange ne sont pas de véritables marchandises9, bref un lieu où l’équilibre ne se réalise pas automatiquement contrairement à ce qu’énonce l’économie néo-classique. Il s’avère que c’est par l’avance pécuniaire fournie par le RSA que ce dispositif est censé intervenir directement sur le marché du travail en amorçant la pompe en vue d’une sortie linéaire de la situation de « désoccuppé » (disocupati en italien) par l’incitation au retour à l’emploi précaire d’abord, éventuellement pérenne par la suite. En réalité le bénéficiaire du RSA tombe souvent dans un sous-marché du travail qui le maintient dans une situation ambiguë que les sociologues américains désignent comme étant celle des working poors (travailleurs pauvres). Une situation qui évite l’exclusion (la société capitalisée reste inclusive et englobante), mais sans plus vraiment fournir les conditions sociales qui préside à l’intégration par le travail. Le RSA cherche à répondre partiellement à une crise de l’employabilité qui conduit à reconsidérer ou même à redéfinir le rapport salarial à partir du moment où l’essentiel est préservé, à savoir que ce rapport salarial continue à diriger le rapport social global en dehors d’un travail continu concrètement effectué. Ce qui compte, dans la société capitalisée, c’est de maintenir les possibilités d’employabilité y compris en simulant les situations d’emplois. Les syndicats de salariés ne semblent pas y être opposés puisqu’ils planchent sur l’idée des « parcours professionnels ».

C’est une stratégie tout à fait différente de celle qui a prévalu des débuts de la révolution industrielle jusqu’à la Première Guerre mondiale et qui considérait comme une bonne chose une « armée industrielle de réserve » permettant de peser sur les salaires et dans laquelle on piochait selon les besoins sans se préoccuper de la question sociale, sans souci de formation professionnelle, etc.

Aujourd’hui, le commandement capitaliste doit réaliser un véritable tour de force pour reproduire le rapport salarial dans une situation de fort chômage et de plus longue durée. En effet, il lui faut continuer à bien marquer la différence de situation entre ceux qui sont « au travail » et ceux pour qui le travail se dérobe sans que cela soit de leur fait. Pas question donc pour ces derniers, d’un revenu garanti d’existence qui soit à peu près l’équivalent du SMIC, mais néanmoins allocation d’un revenu minimum de survie qui permette de ne pas « décrocher » du monde du travail.

Si nous préférons parler du travailleur-précaire et non pas de précarité en général, c’est que cette dernière notion est une notion fourre-tout et surtout elle sous-entend que le devenir de tout cela serait une sorte de « sens de l’Histoire » vers un précariat comme nouvelle norme salariale. Nous nous inscrivons en faux contre cette assertion. Le développement des statuts précaires est certes lié à la flexibilisation de l’emploi, mais elle n’est pas plus importante que la tendance à fixer et à considérer comme capital humain ou ressource humaine toute une autre partie des salariés. Nous pensons plutôt que la précarisation correspond à une situation liée à l’inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation, mais dans une société qui reste encore une société du travail et qui doit donc maintenir le travail comme discipline imposée par la double contrainte morale et monétaire.

On assiste à un retour à la nature première du rapport salarial, indépendamment de tout rapport à un travail concret. À partir de là, c’est la gestion globale de cette force de travail qui est primordiale et les coûts de cette force de travail doivent être envisagés en conséquence, c’est-à-dire en dehors de l’activité réelle qui lui correspond. Les patrons en sont bien conscients qui demandent à l’État de payer un salaire social en supplément du salaire d’entreprise qui correspondrait au travail réel. C’est d’ailleurs leur argumentaire pour s’opposer au maintien du SMIC. La stagnation des salaires ou même leur régression actuelle n’est donc pas tant à mettre sur le dos de la pression à la baisse qui s’exercerait en période de fort chômage, que du fait que la rétribution générale de la force de travail globale nécessite des redistributions internes, du travailleur très qualifié au bénéficiaire du RSA, en passant par le smicard et le chômeur indemnisé, suivant le principe des vases communicants.

En conséquence, nous refusons de mettre en avant un individu précaire, qui serait le seul à subir véritablement et à concentrer dans sa situation propre toute la dimension collective, dans le travail et en dehors, des rapports de domination dans la société capitalisée. Dès lors il nous faut aussi parler de ce regard qui consiste à comprendre les Trente glorieuses comme si il y avait eu un jour un travail garanti et immédiatement accessible pour tous là où aujourd’hui se formerait une vie de précarité totale. Sans faire de comparaison facile, la période fantasmée est pourtant celle de la sortie d’une guerre avec des conditions de vie peu enviables. Travail à la chaîne généralisé, travail posté très important, maladies professionnelles mortelles non reconnues comme celles liées à l’amiante et au plomb, discipline de fer imposée par les petits chefs dans l’automobile pour ce qui est des conditions de travail ; habitat en logements insalubres malgré la construction de HLM en banlieue, bidonvilles pour travailleurs immigrés, bains-douches publics, etc., pour ce qui est des conditions de vie10.

C’est que le fil rouge de la lutte des classes est bien rompu quand la mémoire ouvrière est mise au rebut par des enfants de prolétaires qui préfèrent devenir vigiles, ou toute autre chose, plutôt qu’opérateurs sur une chaîne quelconque. Dès lors, à la place, notre époque semble promouvoir une esthétique des années 1960-70 (le « vintage » en est la partie émergée), c’est-à-dire un passé enjolivé à travers le doux cocon tressé par l’État-providence dans une conjoncture favorable de plein emploi ; un passé toutefois délesté de ses dimensions critiques et de révolte, dimension qui fait pourtant partie intégrante de cette époque.

Précarité et tendance à la valeur sans le travail

Il n’en demeure pas moins que la précarité, celle du travail entendons-nous bien, correspond à l’actualité d’une inessentialisation de la force de travail qui est, en fait, la critique en acte du travail, mais… effectuée par le capital. Ceci, car les caractéristiques du procès de production ont complètement été transformées à partir des années 1960-70. Les sources de valorisation liées à l’emploi du travail vivant semblant atteindre leurs limites, le capital a dès lors entrepris de faire sa révolution11. Dans le mouvement des restructurations qui commence alors, le travail mort (avec l’automation par exemple) prend le dessus et le travail vivant n’est plus qu’un emploi aux ordres dont plus personne ne se préoccupe de « l’utilité » ou du caractère productif. Dans la société capitalisée, tout apparaît « utile » et productif… pour le capital !

À ce titre, le travail tel qu’il était considéré dans sa version « noble » de travail vivant productif devient plus rare, voire est renvoyé aux marges, tandis que c’est l’ensemble de la société du capital, de l’amont à l’aval du procès de production au sens strict, qui est utilisé pour créer de la valeur. C’est ce processus que nous avons désigné comme celui de la valeur sans le travail12. Changement de fond majeur qui ouvre des espaces de capitalisation qui paraissent effectivement redonner souffle au capital via le développement du capital fictif et la financiarisation, non seulement de l’économie, mais de l’ensemble de la société (cf. le phénomène de « bancarisation » des ménages et le rôle du crédit) ; à travers aussi le développement des NTIC et plus généralement l’intégration de la technoscience dans le procès de production et les conséquences qui en découlent avec la croissance exponentielle des services et la mise en réseau des relations sociales. C’est cet ensemble que nous appelons la « société capitalisée ».

Les nouvelles sources de capitalisation s’appuient donc désormais sur les connaissances partagées (on peut parler du General Intellect de Marx) par des ensembles de réseaux d’acteurs plus ou moins éparpillés que les grands groupes captent et agencent à leur profit. On passe donc d’une vision quantitativiste et agrégée des opérations de travail, dont le fordisme est l’exemple type, à une vision en réseau13 et relationnelle par le biais du management et la gestion des ressources humaines. Le « capital variable » de Marx (la force de travail productive exploitée) ne gagne pas en galons en devenant « capital humain ». Ce dernier s’inscrit comme simple composante de la chaîne de valorisation et en tant que telle sa « variation » peut s’avérer aussi grande que n’importe quelle partie du capital constant (machines ou matières premières). Plus que jamais, une part de la main-d’œuvre salariée peut « mériter » son vocable marxiste de capital variable, alors que l’autre part peut être assimilée au capital fixe. Mais dans les deux cas, c’est l’autonomie relative du travail par rapport au capital dans le rapport social capitaliste qui est remise en question. Contrairement à ce croient encore les néo-opéraïstes en référence à « l’autonomie ouvrière » des années 1970, il n’y a plus d’autonomie possible du travail par rapport au capital.

À noter que le salariat couvre l’ensemble de ce qu’est le travail pour tout un chacun sans que celui-ci soit forcément productif. Aussi, l’effort idéologique consistant à nous parler avec ferveur de la « valeur-travail » comme Sarkozy l’a fait sous son mandat de président laisse bien penser, en creux, que celle-ci est en déperdition et que ce n’est qu’une incantation en faveur du travail comme valeur, une valeur autrefois partagée et par la bourgeoisie et par la classe ouvrière.

Le travail s’efface devant l’emploi

La situation du travailleur-précaire est un signe de cette déperdition. Elle existe parce que l’organisation du travail est dorénavant axée sur la flexibilité. La flexibilité s’accomplit en cherchant à se libérer du temps pour se fondre dans l’immédiateté de la circulation. Tout l’enjeu de la flexibilité est de s’affranchir des « lourdeurs » que représentent les stocks pour y préférer les flux. Ceci signifie au niveau de l’emploi une maîtrise, une adaptabilité, une réaction immédiate à la conjoncture déterminée par l’état de la demande. À ce titre il y a une inversion de la chaîne de commandement fordiste dans laquelle l’offre déterminait la demande. Place au juste à temps et au zéro stock du toyotisme ! L’emploi ne peut donc plus être enraciné dans le temps comme un stock de capital variable et surtout le travailleur y est souvent vu comme un frein à la valorisation là ou le temps de production même est devenu moins important que ceux de la conception et de la circulation.

Mais la flexibilité du travail n’est pas qu’une arme contre les employés, c’est la possibilité, on le voit dans le travail féminin, de jongler entre la vie de famille et le travail quoiqu’on pense de ce cumul. Le contrat a-typique du travailleur précaire ne signifie donc pas automatiquement exclusion par rapport à une inclusion que serait le travail salarié typique correspondant au Code du travail (CDI). La barrière est poreuse dans l’entre-deux qui le caractérise : succession de travail à mi-temps, jobs de trois jours, stages rémunérés ou non, temps de travail décomposé, etc. Il laisse par là du temps aux individus qui peuvent envisager autre chose que la dévotion à leur travail. La perspective est pour toute une partie des précaires (les 20-35 ans particulièrement) d’utiliser à leur compte cette situation où effectivement ils n’ont pas à avoir de remords à quitter une « boîte » quelconque. Cette position actuelle face au travail pourrait être le fruit d’une résonance de la situation d’avant les années 1980 quand le travailleur était en position, non pas de prendre ce qui lui chantait, mais bien de le refuser par des pratiques telles l’absentéisme répété et surtout le turn-over ! Ces pratiques étaient le fruit d’un certain rapport de force entre capital et travail dans lequel ce dernier pouvait avoir des marges de manœuvre, mais aussi le fruit d’une révolte générale contre toutes les conditions de la domination et cela surtout parmi une jeunesse qui sera à la pointe des luttes de cette époque. Mais malheureusement ce n’est plus le cas au moins pour le moment. Cette lutte a été défaite, dont acte, et ce qui se produit n’est pas dans la continuité de ce qui précède, car le fil rouge est bien rompu. Ce qui était révolte est devenu passivité le plus souvent ou au mieux résistance, une situation qui nous caractérise presque tous puisque nous sommes le plus souvent sur la défensive, sans perspective immédiate d’inverser la dynamique.

La défaite dont nous parlons n’est pas seulement la défaite d’un mouvement passé, le dernier assaut prolétarien contre le capital, mais elle est aussi quotidienne dans un retour au travail qui fait accepter n’importe quel emploi et c’est plus vrai encore, quand l’emploi pris l’est comme un pack dont les différentes composantes ne sont pas dissociables, ce qui empêche de se poser la question de ce qui est acceptable ou ne l’est pas. Aujourd’hui les plus fragilisés socialement prennent l’emploi qu’ils peuvent obtenir et rien d’autre. On peut même dire que beaucoup sont prêts à de grandes concessions pour avoir un emploi et les employeurs jouent sur cette nouvelle donne qui aussi bien du côté de l’employeur que du côté du salarié entrant sur le marché du travail, fait que l’emploi octroyé ou obtenu ne semble l’être que du bout des doigts, comme à regret. À la limite, on peut dire que ni l’employeur ni l’employé n’y croient eux-mêmes. Le contrat est passé, mais sans engagement réel de part et d’autre. L’exemple de ces « boîtes » qui prennent (à ce niveau le terme d’embauche est impropre) des travailleurs sans jamais leur permettre d’être comme les autres travailleurs au niveau des conditions de travail (absence de chaussures de sécurité ou simplement d’habit de travail) n’est pas anodin. Si le salarié est prêt à accepter n’importe quoi (ce qui peut être éventuellement facilité par son absence de papiers), on lui offre le minimum y compris en contournant le droit du travail.

Le niveau de l’emploi n’est plus qu’une donnée statistique fluctuante que l’État et les dirigeants politiques semblent subir. Il apparaît déconnecté des politiques de plein emploi qui semblaient accompagnées, par nature, des politiques de croissance nécessaires à une reproduction élargie. Dans la reproduction rétrécie actuelle, c’est la capitalisation qui prime et non l’accumulation des facteurs de production. Ce n’est pas la fin du travail, mais celui-ci tend à ne plus apparaître que comme un résidu du processus d’ensemble et non plus comme sa source.

Le développement du travail précaire est donc une des manifestations de l’avancée d’un capital qui a fait sa révolution aux dépens de ce que portaient les luttes antérieures14.

La critique du travail la plus efficace s’est avérée être celle effectuée par le capital lui-même qui coupe du même coup toute possibilité de retour en arrière par le schéma classique du développement des forces productives par et pour le prolétariat. Ces forces productives sont aujourd’hui bridées par les impératifs à court terme de la capitalisation et c’est en partie en dehors de leur développement que s’effectue la valorisation.

L’hétérogénéité des travailleurs précaires

Ne voulant pas abandonner le schéma d’une lutte des classes centrale qui pourtant se dérobe à tous, certains vont jusqu’à annoncer aujourd’hui l’éclosion d’un nouveau sujet révolutionnaire sous la forme d’un précariat qui deviendrait à terme la nouvelle catégorie objective de ce sujet, celui qu’on attend depuis la fin du prolétariat classique. Comme si l’heure était à la reconstitution de ce prolétariat dans les pays occidentaux alors qu’on assiste bien plutôt à la décomposition des classes et à des situations d’atomisation extrême dont les travailleurs précaires représentent le meilleur exemple. Ces derniers ne risquent donc pas de se poser la question de l’unité de classe et encore moins celle de savoir s’ils pourraient prendre sa tête. Tout au plus voudraient-ils déjà être un peu mieux considérés par les organisations syndicales et politiques. Mais pour l’instant, nous le verrons en détail plus loin pour la fonction publique, l’action des précaires en tant que tels, c’est-à-dire à travers des comités de grève ou des collectifs de lutte est rare, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord le salarié précaire est dans une position attentiste vis-à-vis du travail et des avantages que lui promet la société capitalisée. Ensuite il a comme horizon à terme le salariat, et ce même si actuellement les caractéristiques de son travail ne lui permettent pas d’envisager un emploi de longue durée ou même une carrière ; ensuite, l’idéologie en vogue lui laisse miroiter les possibilités de l’auto-entrepreneuriat. Logiquement le travailleur-précaire est un consommateur comme les autres. Il demande donc de pouvoir lui aussi accéder à tout ce qui s’offre à chacun au sein de ce qui est vécu immédiatement comme une société de consommation. En outre ; enfin, les « précaires » ne se manifestent pas particulièrement par des dispositions plus développées à lutter même si cela existe, comme l’ont montré par exemple, les luttes dans la restauration rapide. Beaucoup préfèrent partir en cas de conflit avec la direction quitte à perdre des indemnités de chômage bien maigres.

S’il existe donc bien des luttes de précaires, cela ne signifie pas une homogénéité de cette catégorie. Ainsi, on peut repérer au moins deux situations très différentes. Les précaires des grandes entreprises sont complètement noyés dans la masse des autres salariés et cela les amène soit à être suivistes par rapport à des mouvements revendicatifs qui ne les concernent pas forcément directement, soit à avancer leurs revendications propres, mais à s’isoler des autres ; à l’inverse, dans certains secteurs du commerce et de la restauration ou de l’hôtellerie, du bâtiment et des travaux publics et d’une manière générale, dans les très petites entreprises (TPE), l’isolement est originel et géographique, car les précaires sont souvent l’unique catégorie de travailleurs employée, mais une catégorie dispersée sur de multiples lieux de travail dont l’unité n’apparaît, au mieux, que dans la lutte.

On pourrait aussi être tenté de caractériser les « précaires » à partir d’un niveau de salaire mensuel comme les jeunes opposants grecs l’ont fait quand ils ont mis en avant une « génération 600 euros » correspondant aux diverses situations que nous venons de décrire et au fait que ce salaire ne permettrait pas une vie décente, l’accès au logement et à la norme de consommation. Mais, cette définition monétaire et quantitative ne semble pas extensible aux pays plus riches, qui connaissent une très grande différenciation de leur jeunesse, avec des lignes de partage pauvreté/richesse qui ne recoupent guère les catégories d’âge. Par exemple, en France, les statistiques montrent que ce sont les « seniors » qui sont actuellement les plus discriminés à l’embauche, devant les femmes et cela même si les jeunes forment les gros bataillons des CDD puisque ceux-ci fonctionnent comme périodes d’essai et d’acquisition d’expérience et non comme une discrimination15.

Ce qui peut paraître plus commun ou définitoire de ces situations de précarité, c’est que le travailleur-précaire est sans cesse pris dans les mailles de l’employabilité, celle-ci consistant à développer les comportements et les discours pour être « conforme » à ce qu’attend l’institution (qu’elle prenne la forme de pôle-emploi ou de l’entreprise) en termes de disponibilité pour tout emploi qui se présenterait. Et là, s’il existe de fortes marges de manœuvre dans les pays qui ont déjà développé la flexisécurité et ont réussi à élever le niveau d’employabilité par des mesures complémentaires de formation, au détriment certes parfois des statuts, cette marge demeure très faible en France puisque si on prend l’exemple de Pôle emploi, ce dernier cherche clairement à ce que l’usager fasse de sa recherche d’emploi une recherche de travail « à plein temps » afin d’éviter les risques de décrochage. Or cela devient absurde dans le contexte actuel de surnuméraires absolus du travail. Ce qui était encore valable pour une « armée industrielle de réserve » ne l’est plus.

On doit donc bien comprendre que par rapport au travail devenu inessentiel le précaire est maintenu dans une position où il a plus à perdre qu’à gagner au maintien des rigidités engendrées par le respect du droit du travail et une idéologie du travail comme valeur qui continue à lui faire miroiter un « vrai » travail à statut typique. C’est dire aussi que la possibilité du travail n’est pas conditionnée par l’effectivité de votre utilité dans la valorisation du capital, mais est à envisager comme une potentialité abstraite, une ressource disponible non seulement pour la production, mais au sein de rapports sociaux capitalistes définis non pas essentiellement par l’exploitation du travail, mais par la norme salariale. Tant que vous prouvez que vous êtes à même de prendre un emploi, quel qu’il soit, vous êtes apte à être inséré dans un des dispositifs directement productifs ou non que contrôle, en dernier ressort, l’État-réseau. D’ailleurs, vu la place prise dans le circuit de la valorisation par le temps de reproduction des rapports sociaux, vous n’échappez à rien. Tout est fait pour que vous ne soyez jamais un « en dehors » et qu’il y ait en réalité toujours une médiation pour vous inclure. Dès lors le précaire n’est assurément pas à mettre dans une quelconque armée industrielle de réserve d’autant plus que c’est l’industrie qui est en premier lieu complètement transformée par le processus de plus en plus intensif de remplacement du travail vivant par les machines16. Ceci est d’autant plus vrai que beaucoup d’individus sont désormais potentiellement surnuméraires et donc inemployables, car… nous avons bel et bien affaire à une crise du travail.

La situation diffère ici suivant les pays, mais si l’on en reste aux pays dominants les plus riches, l’exemple des deux millions d’Américains qui peuplent les prisons et les capacités insuffisantes d’un pays comme la France à résoudre le surpeuplement carcéral, indiquent une tendance lourde. Et il est manifeste que l’on ne peut multiplier les emplois aidés à l’infini, la recette ayant en effet des limites malgré les espoirs dans les « nouveaux » métiers tels ceux des soins à la personne ou dans l’économie solidaire.

C’est donc l’ancienne norme salariale qui vient à être questionnée parce qu’elle ne correspond plus à la nouvelle donne et que les pouvoirs en place doivent faire évoluer le droit en flexibilisant davantage… pour maintenir tout le monde dans le bateau. Bien sûr la création des CDD sous Rocard a été la mesure phare, en France de cette remise en cause, mais le nouvel accord baptisé ANI17 en constitue une nouvelle étape.

Tout ce que nous venons d’évoquer ne signifie pas pour autant que certains ne décrochent pas complètement du marché du travail malgré le traitement très intrusif de Pôle emploi ou de la CAF. Mais on retrouve à côté de cela un discours de type gauchiste qui met en avant ces « salauds » qui en profitent en désignant formellement les patrons. C’est un peu le retour à une vision des années 1920 quand les caricaturistes ou le peintre Grosz représentaient les capitalistes à chapeaux hauts-de-forme et gros cigares avec des femmes dénudées sur les genoux. Une vision du même acabit que celle qui réduit le capital à la finance. Mais ce serait si simple s’il ne s’agissait que des « 1 % » d’exploiteurs et de profiteurs corrompus ; il suffirait alors de descendre dans la rue et faire comme les Égyptiens, d’en pendre un ou deux pour l’exemple ! Mais c’est ignorer le fait que dans les pays dominants il est impossible de se mettre face à un ennemi qui soit complètement extérieur. Les positions fluctuantes et contradictoires des individus face à l’État nous le montrent tous les jours. Qui manifeste un jour contre lui, lui demande des subventions le lendemain (les paysans), de nationaliser (les ouvriers), de ne pas laisser la culture aux mains des affairistes (les artistes), de remplir sa mission de service public (les étudiants, les « usagers »). On ne peut donc partager ce type de discours simplificateur qui cherche à recréer artificiellement des lignes de classes, même si on a entendu ce genre d’argument au sein du collectif de chômeurs auquel nous avons participé, ou alors simplifie à l’extrême l’opposition entre dirigeants et dirigés.

Expérience de lutte de chômeurs et précaires

Nous avons eu l’occasion de participer à quelques actions d’un bref regain de luttes chez les « chômeurs et précaires » au début de l’année 201218 à Lyon et ailleurs19. Dès l’origine on trouve l’idée de lier chômeurs et « précaires » sans que l’on sache bien ce qui est entendu par ce terme de précaire comme nous l’avons vu plus haut.

La composition même du collectif nous a posé dès le départ question. Il comportait peu de monde ce qui entraînait que chacun semblait représenter une tendance à lui seul : militants aguerris à ce type de lutte, syndicalistes gauchistes et surtout très peu de chômeurs à proprement parler, mais par contre d’ex-étudiants avec des pratiques politiques libertaires érigées en principe (le vote est par exemple honni et l’on y substitue la recherche de consensus). Ces derniers avaient souvent découvert les instances de régulation du chômage à la sortie de leurs études. Parmi ceux-ci une part non négligeable avait déjà participé, de près ou de loin, aux luttes universitaires. Leurs pratiques étaient donc, en réalité, assez différentes de celles des organisations de terrain, à savoir, le Collectif de Vaulx-en-Velin et le syndicat CGT de cette « catégorie ». Malgré tout se faisait jour pour les participants, quels qu’ils soient, une envie de faire autre chose que subir Pôle emploi (PE) ou la CAF, même quand on en soutire des allocations de toute façon insuffisantes.

La première action eut lieu dans un back-office de PE à partir du mot d’ordre « Occupons Pôle Emploi » relayé par différents moyens et mis en avant par des « indignés » sur le net. Il y avait une motivation de départ assez importante et l’occupation fut celle d’une officine institutionnelle qui s’occupe de dossiers en souffrance au sein de commissions mixtes (employeurs, PE, syndicats). Mais on s’est retrouvé de suite dans une contradiction propre aux grands syndicats : ils sont des cogestionnaires de ces commissions et en même temps ils en dénoncent le fonctionnement comme l’a fait en pratique la CGT-privés-d’emploi et précaires (CGT-PEP) à ce moment-là. Vu les liens organisationnels entretenus par cette confédération syndicale entre personnel fixe « en-dedans » et individus précaires « en-dehors », elle mettra en avant que les personnels de PE ne sont pas en contradiction avec leurs usagers, mais qu’ils sont plutôt pressurés par leur direction. Pourtant la jonction usagers/personnels de PE n’aura jamais lieu. Cette première occupation donnant plutôt un départ en fureur du responsable cégétiste20 qui siégeait à ladite commission. Il n’en demeure pas moins que pendant l’occupation des dossiers seront soumis à examen et une liste de revendications faxée. Elle ne comporte rien de bien nouveau sans non plus tomber dans une rhétorique marquée, la feuille de revendication ayant été le fruit de discussions sur place sans tabou. Le rapport aux médias présents aura été pris en charge par quelques-uns, mais après une concertation débouchant sur un refus de laisser filmer et photographier la réunion permanente que nous menions. Néanmoins, il n’y eut pas ou peu de refus des médias de notre part, ce qui est dans la lignée des « nouveaux mouvements sociaux » qui ont tendance à pallier à leur « invisibilité » sociale par une large ouverture vers les médias qui au moins au niveau régional se trouvent assez compréhensifs dans le cadre de leur intérêt bien compris (avoir de « la matière » pour exister à ce niveau). En l’occurrence ici, merci France 3…

Au-delà des dossiers apportés allaient émerger par la suite de nombreuses questions pour l’avenir du collectif : Quelle différence entre occuper ou bloquer une agence ? Que dire alors et que faire avec les demandeurs présents ? Porter des dossiers soi-disant traités dans l’instant ? Étendre les actions aux transports ou autres ? etc.

Le tract qui allait suivre aura savamment évité ces questions et bien d’autres. La formulation dans ce tract de l’idée que « le traitement de masse de la pauvreté nie la spécificité de nos vies » était bien étranger à ce qui constitue habituellement le souci central des collectifs de chômeurs : la question des droits (droit à la parole, droit à l’indemnisation, etc.). D’ailleurs le slogan des mouvements de chômeurs : « un emploi c’est un droit un revenu c’est un dû » n’y apparaît pas. Il y avait donc une profonde distance entre ce type de revendication exprimée pendant le mouvement des chômeurs de 1998 et une part des personnes de ce collectif, quinze ans plus tard.

Pour celles qui exprimaient des tendances libertaires, il s’agissait aussi d’échapper à l’emploi et au contrôle des instances de gestion de la misère, ces dernières étant jugées oppressives. Ce refus du travail n’est en réalité pas compréhensible pour ceux qui parlent dès le départ en terme de « privé d’emploi » parce qu’ils pensent la situation temporaire en rapport à une situation économique de crise et aux insuffisances des politiques de l’emploi menées par les gouvernements. C’est le cas de la CGT qui met toujours en avant la centralité du travail et qui ne conçoit le chômage que comme subi. La figure concrète du chômeur doit donc être euphémisée en « privé d’emploi21 », ce qui présente aussi l’avantage de poser le droit au travail comme un droit inaliénable, sans aborder la question d’un droit au revenu. Mais pour les ex-étudiants, cette figure du chômeur n’est pas un repoussoir et l’allongement progressif de la durée de leurs études leur a déjà permis d’échapper à la problématique d’une recherche angoissée d’un emploi salarié pérenne qui correspond justement à ce que veulent tant d’autres et qui, actuellement, vient à manquer pour certains. Toujours axé sur une conception de l’emploi comme droit, on passe ainsi à côté de l’activité22 hors-emploi23 qui se développe pour tous ceux qui ne se plient pas complètement à l’idéologie où à la « nécessité24 » de se placer dans la problématique de l’employabilité à tout prix et donc des différents parcours de formation et d’évaluation des compétences. Ce qui était le cas de toute une partie de ces ex-étudiants.

Un retour historique est peut-être nécessaire pour éclairer la question. En effet, de nombreux sociologues comme Donzelot parlent de « l’invention du chômage » ou d’une construction imaginaire25. A. Gorz pour sa part, a développé ça dans ses Métamorphoses de la question sociale (Galilée, 1988). « Le travail intermittent a été vécu comme une liberté [pour les travailleurs] jusqu’à l’invention du chômage dans les années 1910 » (p. 241). Ainsi, Christian Topalov explique qu’à cette époque « être employé par la même entreprise et travailler tout au long de l’année, parfois même de la semaine, est une expérience étrangère à la plupart des ouvriers » (id. p. 241). Et encore, « La notion de chômage […] a été inventée expressément pour lutter contre la pratique du travail discontinu » (ibid.). Ainsi, W. Beveridge, le futur planificateur des systèmes de Sécurité Sociale, préconise dès les années 1910, la création au Royaume-Uni d’un « réseau national de bureaux de placement public » dont le but est « tout simplement de détruire une catégorie populaire, celle des travailleurs intermittents : il fallait qu’on devienne soit salariés réguliers à plein temps, soit chômeurs complets » [on est toujours dans cette configuration d’une coupure maximale en France, d’où les attaques contre la prétendue « préférence pour le chômage » des Français, Ndlr). Comme le disent bien Hamelin et Tarlet (op. cit.), se met en place ici, progressivement, une disqualification des cultures ouvrière et paysanne. Nous pourrions rajouter : au profit d’une culture syndicalo-usiniste qui échangera temps de travail et intensité du travail en hausse contre augmentation du niveau de vie. Tout le discours sur « l’employabilité » peut alors venir se greffer sur une nouvelle représentation du travail et de la norme salariée.

Mais revenons à notre mouvement. Dans les faits, les organisations de chômeurs mettent toujours en avant le seul lieu qui leur permette de se rencontrer c’est-à-dire l’agence PE et la CAF. Face à l’isolement du chômeur, se raccrocher à quelques lieux reste donc important. Mais même cela n’était pas envisagé par tous dans le collectif préférant peut-être développer autre chose (mais quoi ?) plutôt que de rester accroché à ces agences impersonnelles consacrées au Projet personnalisé d’accès à l’emploi et à leurs bilans socio-psychologiques servant à vous rendre employables, mais souvent en niant qu’il puisse exister des expériences sociales et même économiques menées hors travail. Ce changement par rapport à la fin des années 1990 manifeste une modification de la personne du chômeur. Elle est de moins en moins celle du travailleur au chômage entre deux périodes d’activité et de plus en plus celle du non encore travailleur qui alterne quelques périodes de travail, mais ne se ressent pas pleinement au travail et salarié.

La seconde journée d’action, était là encore une occupation, mais cette fois d’un front office, lieu recevant donc du public. Elle allait montrer les limites du collectif. Malgré un travail de préparation avec diffusion de tracts devant la CAF et des Pôles emplois, le nombre de participants ne s’est pas étoffé, mais ce n’est pas le plus décisif pour une action. En effet, tous les participants ne se trouvaient pas sur la même longueur d’onde : certains voulaient rester et camper dans l’agence selon le slogan « Pôle emploi appartient aux chômeurs », tandis que beaucoup d’autres s’en iront chacun de leur côté, en se retirant de fait de l’action, immédiatement ou progressivement. La sorte d’engagement total qui prévalait chez les plus aguerris (des militants le plus souvent) ne fut pas suivie. Quant à encore mettre en avant des dossiers en souffrance cela n’apportait déjà plus de satisfaction à cause de limites déjà discutées. En l’occurrence les critiques furent que le collectif n’était pas là pour être un sous service de PE et plus encore, la critique provenait de l’expérience de la première occupation ou des dossiers n’ont pas été régularisés comme prévu. Dès lors que gagner dans ces occupations ?

La motivation première n’a donc pas suffi à créer une dynamique propre d’occupation ou tout simplement de lutte claire et à long terme contre la gestion étatique des situations de chômage et de travail précaire. Qu’est-ce qui a manqué alors ? À cette question fut donnée une réponse qui devait sceller le sort du collectif. En effet, on a voulu mettre à plat des idées, revoir dans quelle société on agissait, dans quoi l’on se projetait pour avoir des bases de luttes saines et théoriquement fortes. C’était le moment des grands discours pour certains, de la formulation claire de ces idées devant tous plus généralement. Et de fait ce ne sont que les plus engagés qui se déplacèrent, un dimanche après-midi ( !) pour discuter et la composante la plus libertaire était à peine présente. Il nous apparut clairement que beaucoup ne reviendraient pas dans le collectif, car la perspective d’une lutte à long terme ne les motivaient pas particulièrement. Sur le fond, ils n’y voyaient plus que la recherche d’une amélioration immédiate des conditions de vie dans une lutte qu’ils avaient conçue à l’origine comme radicale. La radicalité en question peut-être bien sûr interrogée quand elle ne s’exprime que comme prise de distance avec PE parce que les plus libertaires n’y voient rien à sauver. Rien à sauver parce qu’ils condamnent explicitement l’institution de gestion de la force de travail précaire et implicitement les salariés garantis par leur statut qui sont chargés d’appliquer concrètement la gestion des sans statuts sans jamais remettre en question leur position si ce n’est dominante, du moins en surplomb26. Dans cette perspective, il ne pouvait être question d’une quelconque forme de fraternisation avec le personnel de PE. Mais ne pas adopter cette perspective révolutionnaire avec un grand R n’aidait pas à se positionner, car en face il n’y avait de choix immédiat que celui réformiste avec un petit r, supposant un militantisme pétri d’une certaine abnégation pour la cause. Une cause qui avait comme perspective une série de contraintes importantes à coup de réunions, de diffusions de tracts aux sorties de métro, bref un militantisme basique peu valorisant. Ces deux options ne donnaient donc vraiment pas envie de continuer et il fallait bien admettre que les nouveaux actifs dans ce type de lutte, plus radicaux dans leurs intentions du moins, n’ont pas trouvé de terrain d’entente avec les autres participants restés plus dans la tradition ouvrière. Nous ne pouvons dire exactement les raisons qui dans d’autres villes ont fait que ce regain d’actions d’occupation ne continua pas, mais elles ne sont sans doute guère différentes des nôtres. Ce sont en fait les modes d’action et surtout le discours historique des mouvements de chômeurs qui ne touchent plus leur cible.

Lutte de travailleurs-précaires dans la fonction publique

Nous partirons ici de notre expérience de lutte dans la fonction publique et plus précisément dans une bibliothèque universitaire (BU). Celle-ci comporte ses spécificités, c’est certain, mais donne à voir aussi ce qui est général à la position du travailleur-précaire et de l’étudiant-travailleur, situation d’entre-deux dont nous venons de dresser les grands traits.

Pour commencer remarquons que les participants à cette lutte ne la qualifient pas facilement comme telle. D’ailleurs, pour écrire ce texte, nous avons en partie dû dépasser l’idée de ce qu’est une lutte tant la nôtre nous apparaît comme une ébauche ou plutôt comme une simple mise en mouvement. Il n’en demeure pas moins qu’un retour critique sur ce que nous avons fait peut nous permettre de mieux intervenir dans les luttes à venir.

La fonction publique emploie, contrairement à ce qu’on pourrait penser puisque c’est en général le secteur privé et les patrons qui sont accusés de s’attaquer à la norme salariale, un grand nombre de travailleurs précaires aux statuts parfois très différents. Ainsi, on retrouvera des contrats de vacations ou de contractuels, tous deux différents des statuts de titulaires qu’ils soient de catégorie A, B ou C. La différence ne sera pas évidente aux yeux d’une personne extérieure et c’est d’autant plus vrai pour un nouvel arrivant en qualité de titulaire dans la fonction publique ou surtout pour quelqu’un qui frappe seulement à sa porte. Une porte dont il ne s’éloigne que difficilement comme le montre la situation la pire, celle des vacataires aux contrats parfois bien plus désavantageux que ceux que l’on retrouve dans les entreprises d’intérim pour le secteur privé. La vacation horaire (mode majoritaire de la vacation) par exemple, consiste à n’être payé qu’à l’heure effectuée et ceci sans possibilité de jours de vacances supplémentaires ou de congés maladie sans jours de carence. Ces emplois de vacataires constituent donc un réservoir pour des travaux qui tiennent pour une bonne part de l’invisible, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas indispensables pour le bon fonctionnement de la « machine » : travail de saisie à la chaîne, de monitorat en salle d’informatique, de pigiste de gazette locale, etc. La législation dit précisément que la vacation porte sur « un acte isolé et identifiable »27, un acte qui ne peut qu’être de courte durée. Cela signifie assez clairement les difficultés qui attendent toute lutte qui voudrait s’immiscer dans cet interstice.

La « micro » lutte qui nous importe ici s’est fondée d’abord sur des problèmes de paiement de salaire avec des montants absolument dérisoires, à hauteur, par exemple, de 6 euros pour un mois de 20 heures par semaine (à encadrer dans son salon). On pense évidemment à une erreur de saisie, mais l’erreur n’est apparue à personne comme complètement neutre, car se répétant le mois suivant, et faisant donc remonter à la surface l’impression d’être un employé de seconde zone ou même d’être un simple stagiaire en formation. Un sentiment d’injustice se faisait jour, mais est-ce que cela allait être suffisant pour que se produise une réaction collective ?

Quoi qu’il en soit la faiblesse du chiffre figurant sur le bulletin de paye nous est apparue comme reflétant aussi la faiblesse des vacataires face à l’administration qui pourvoit à l’emploi. Comme nous l’avons dit en préliminaire, le salaire renvoie à un état des forces en présence qui dépend à la fois d’une reconnaissance minimum sur le lieu de travail (souvent posée en termes de « respect »), d’une capacité de résistance au quotidien et d’une certaine tradition de lutte dans le secteur. A priori ici, rien de tout ça. Par contre il est à souligner que les titulaires apparurent plus révoltés que beaucoup de vacataires à la vue de ces salaires dérisoires et d’une situation qui ne les concernaient pourtant pas directement.

Dans l’élan de remise en cause du niveau de salaires, la chose s’est envenimée au constat que ces salaires ne reflétaient aucunement le travail effectué dans un mois entier. La première « subtilité » étant que les mois étaient découpés au bon vouloir du service comptable sur des volumes d’heures sans cesse différents avec en plus des spécificités dues à la fin de l’année comptable en janvier. La seconde subtilité consistait à n’avoir qu’un seul taux horaire de mentionné alors que certains avaient deux contrats contenants des taux et un nombre d’heures réalisées différent. Tout ceci masqué en partie par le décalage entre paiement et édition de la feuille de paye d’un mois (vous touchez votre mois de septembre fin novembre) qui est une chose très courante dans la fonction publique.

Par ailleurs nous nous étions renseignés auprès de vacataires d’une autre bibliothèque universitaire de la ville sur leur propre situation. Il s’est avéré que l’année précédente une lutte très proche de la nôtre avait eu lieu. Dans celle-ci c’était l’impossibilité de contrôler le nombre d’heures payées qui étaient le centre de la lutte. Pour ce problème ils n’ont eu que peu de soutien, semblant être plus des troubles fêtes qu’autre chose. Tant qu’ils recevaient un salaire leur demande apparue comme superflue notamment pour les collègues titulaires. En outre la situation de ces moniteurs était pour le moins désavantageuse, car chaque année celle-ci changeait du tout au tout : le turn-over était donc maximal. De fait on leur rétorquait que se battre pour quelques mois de salaires ne servait à rien ! Pourtant pour eux et pour nous ce n’est pas rien, notamment quand on est un habitué de PE.

La question qui se posait pratiquement pour nous était : comment réunir des vacataires effectuant 2 heures par ci et 2 heures par là ? La seule prise de contact fut donc pour le moins difficile sachant que l’utilisation du courrier électronique s’est avérée insuffisante. Ainsi, pour avoir les e-mails on ne pouvait pas compter sur l’administration de la BU qui ne les avaient peut-être même pas archivés, la récolte des adresses devait donc bien se faire de proche en proche. Ceci même si nous avions une forme de soutien de la part de certains responsables, dont celle qui signait chaque mois le nombre d’heures que nous effectuions. Il apparaissait en réalité que les heures déclarées étaient retranscrites au bon vouloir du service comptable sur les fiches de paye et que les rémunérations ne suivaient donc pas. La responsable la plus offusquée et c’est important, était aussi celle qui s’occupe du recrutement. Cette configuration inespérée nous mettaient donc de fait à l’abri d’une pression directe sur une éviction arbitraire et rapide ou sur nos chances d’être repris. Elle nous évitait aussi un affrontement continuel avec notre hiérarchie directe et il faut se l’imaginer des prises à partie par les collègues qui auraient pu nous nuire, alors que c’est la réserve ou l’absence de prise de position de leur part qui a prévalu. Il n’empêche que nous avons bien subi une sorte de chantage au silence comme condition d’obtention d’un nouveau contrat à venir, façon d’étouffer tous discours ou actes de désaccord.

Vu la situation, un appel à réunion lancé en l’air avec son mot d’ordre général classique ne pouvait aboutir. Il nous fallait rencontrer les personnes concernées au préalable et mettre en avant que les limites de l’acceptable étaient dépassées. Interroger aussi les situations individuelles qui, c’était l’évidence même, devenaient encore plus difficiles rien que pour boucler les fins de mois. L’entre-deux dont nous avons parlé depuis le début de ce texte encourageait les individus à se rétracter au moindre problème au travail. Il fallait donc les détacher du caractère passager de leur emploi et de ce qui leur arrivait. Il fallait donc mettre en évidence les problèmes réels qui les attendaient à court et plus long terme (problème avec Pôle emploi, pour bénéficier de la CMU, etc.). Ceci est d’autant plus difficile à faire comprendre aux moniteurs qui sont des étudiants-travailleurs dont certains ne le sont que pour la durée très courte de trois mois. Que répondre en effet, à quelqu’un dans ce cas, qui certes n’a pas gagné grand-chose en terme pécuniaire (c’est un appoint et rien d’autre), mais qui n’a pas perdu non plus énormément, comme cela nous a été rétorqué ? Il n’empêche que la lutte comprenait deux axes, un à court terme consistant à être payé normalement et immédiatement ; un autre à plus long terme consistant à avoir des fiches de paye en tout point conforme au Code du travail.

Il nous semblait que cette première action de fond ne devait pas s’appuyer sur les seuls vacataires, l’isolement structurel étant une grande faiblesse pour toute action à venir. C’est pour cela qu’un rapprochement à la fois avec une (rare) syndicaliste et avec des collègues titulaires ou contractuels fut entrepris. Rapprochement qui devait donc casser les barrières de statuts ou de corporatisme syndical. Pour les quelques initiateurs de la fronde, la forme d’un collectif paraissait logique et peut-être plus efficace, même si cela n’a existé que très peu de temps. Il y a bien eu un collectif de lutte autour de quelques points précis et limités, mais au bout de quelques mois il ne restait plus que des individus qui tentaient seulement de faire survivre le collectif. Pour ce qui est du soutien il fut bien rare, mais il est vrai que les barrières sont réelles, car il y a rarement un vrai collectif de travail qui pourrait constituer une base de regroupement pour une lutte éventuelle. L’empilement des statuts, les différences par catégories (A-B-C), les primes différenciées, l’entretien individuel et les objectifs personnalisés, la gestion par projet, et même le découpage des tâches par équipes, pôles, etc., soi-disant indispensables, concourent à créer des intérêts divergents ou, en tout cas, à la difficulté de trouver des points de convergence. L’activité des agents d’une même administration peut malgré tout donner lieu à des formes d’entraides comme dans des services ou l’on est exposé à certains publics plus ou moins en difficulté comme dans les préfectures. Cela provoque des conflits entre service et usagers ce qui nécessite de se serrer les coudes, mais de façon plus corporatiste que solidaire. Pourtant le profil des agents titulaires tend à se transformer puisque dans les réformes de restructuration de la fonction publique dans le but d’augmenter la « productivité », les réformes se calquent sur les méthodes et la « gouvernance » en vigueur dans le privé ou plutôt sur l’idée que s’en fait l’administration. À ce titre, par exemple, sur le front des salaires, que les chargés de cours en vacation soient payés six mois après le service effectué ne correspond en rien à la situation dans le privé. Le plus mauvais employeur, d’un point de vue formel, c’est bien l’État.

Revenons à nos problèmes immédiats ; celui de la paye apparut rapidement comme mineur, car il était évident que l’on serait payé, mais quand ? Nous avons en réalité eu des avances sur salaires pour compenser le problème immédiat, mais pas de réédition de nos feuilles de paye avec un montant correct ; à la place nous avons eu droit à des attestations… Rien de bien satisfaisant donc surtout vis-à-vis de Pôle emploi. Sur ce front si PE avait voulu lire en détail nos feuilles de paye, il aurait rapidement trouvé des montants étranges au vu des heures effectuées…

À partir de cela, disons que la réunion de préparation avant toute action était déjà un succès rien que du fait de son existence. Toutes les personnes contactées n’ont pas forcément pu venir, mais il n’y a pas eu de frein véritable, notamment de la part de l’administration de la BU. Le but était d’acquérir entre vacataires assez de confiance pour entamer une aventure collective. Il faut bien voir que nos profils étaient très différents. Une part était des étudiants travailleurs dont nous avons parlé au début de ce document. Une autre part était composée d’anciens étudiants, non véritablement installés dans un emploi précis (par choix ou difficulté) et essayant de vivre de leurs vacations. Parmi ces derniers, plus âgés donc, certains avaient traversé des mouvements sociaux comme ceux des universités (anti-CPE et LRU de 2006, mouvement des chercheurs en 2009) ou hors université comme le mouvement sur les retraites en 2010, ce qui n’était pas négligeable. Tout ce monde fut réuni à cette occasion, mais ce fut la seule fois. La présence de quelques rares titulaires et contractuels ayant répondu à notre invitation nous conforta dans notre démarche. Le plus dur était donc d’avoir l’accord d’un maximum des vacataires sur le minimum à faire, c’est-à-dire formuler notre mécontentement par rapport à l’Université-employeur et obtenir un rendez-vous d’éclaircissement de la situation à propos de nos feuilles de paye. Le temps de réaction de l’Administration nous est alors apparu comme complètement déphasé d’avec le nôtre. Alors que nous n’étions plus là que pour quatre mois, un rendez-vous ne nous sera accordé que près d’un mois après la demande. Nous avons dû insister pour raccourcir ce temps administratif afin de précipiter ce rendez-vous si important pour nous.

La rencontre avec l’encadrement allait d’abord révéler que les cadres de la fonction publique que nous avions en face de nous connaissaient bien un « système » qu’ils alimentent eux-mêmes par l’utilisation des vacations. Ils n’étaient donc pas question pour eux de discuter du bien-fondé de cette forme d’emploi. Ainsi la réponse à nos demandes fut de reconnaître un problème « passager » dans le paiement des salaires, mais de le ramener à une question technique de changement de logiciel. Ceci étant bien commode, car l’impossibilité technique sera aussi mise en avant pour tous les problèmes d’éléments non pertinents sur nos fiches de paye. Pourtant, le fait que certains vivaient exclusivement de ce qu’ils recevaient ici comme salaire alors que les vacations ne sont censées fournir qu’un complément pour des étudiants, n’échappait à aucune des personnes présentes à la réunion.

Concernant les logiciels de traitement des feuilles de paye, savourons un paradoxe doctement énoncé alors : la LRU28 supposait un choix dans le logiciel de gestion des payes, cependant le ministère a imposé dans les faits son propre choix. Conséquence directe et immédiate : le ministère continue à avoir un droit de regard sur les paiements et il ne peut y avoir de dépassement. Donnez la « liberté » de leur budget aux universités, elles prendront avec joie le contrôle exercé par l’État ! Comme quoi la déconcentration de l’État voulant accorder une autonomie budgétaire est à peine une délégation de responsabilité. En réalité c’est bien plus une manière d’organiser un goulet d’étranglement à la base, comme l’encouragent la LRU et toutes les dernières réformes. L’extension au secteur public des règles de la bonne « gouvernance » du secteur privé ne conduit en l’espèce à aucune privatisation. L’État-nation, c’était la main de fer, l’État-réseau c’est le gant de velours… sur la main de fer !

Autant le dire, ceux qui avaient été désignés pour aller à cette rencontre n’en sont pas sortis très satisfaits par des réponses apportées du type : « nous n’y pouvons rien c’est un problème technique ». Réponse pour le moins technocratique bien commode, et dure à faire avaler après le traitement dont nous avions bénéficié.

Le paiement des salaires une fois réglé et normalisé, cela n’a pas empêché qu’une certaine opiniâtreté ou pugnacité pour continuer la lutte se fasse jour chez beaucoup de vacataires voyant qu’on pouvait faire autre chose que tout accepter. La question de la régularisation des feuilles de salaires a très précisément continué à entretenir une certaine fronde. La lutte continuant donc à sa manière, syndicalistes et vacataires réunis. Une seconde rencontre fut convenue, avec la menace d’un recours au tribunal administratif quant à l’irrégularité de la fiche de paye. Sur ce point nous avons obtenu gain de cause de façon bancale, car les anciennes fiches de paye restent a priori fausses et l’on nous a proposé pour tout problème administratif à venir des attestations…

Nous n’avons rien dit des conditions de travail qui nous concernaient, car elles paraissent bien meilleures que dans d’autres secteurs. Pourtant l’on retrouve ce que nous avons déjà mentionné plus haut : le travail des uns est invisible aux autres. Ainsi dans une Université, le service de nettoyage n’est qu’une « appellation » pour la plupart de ses usagers et même pour les autres travailleurs du lieu. L’invisibilité des uns pour les autres est identique à celle qui touche les travailleurs des entreprises de nettoyage des transports publics. C’est aussi vrai, par exemple, des vacations de moniteurs en bibliothèque auxquels les collègues titulaires parlent à peine. Il en émane un sentiment assez désagréable d’incompréhension face à son propre travail : utile ? inutile ? Quel degré d’implication alors si rien ne signale le moindre travail coopératif ou le sentiment de faire partie d’un collectif de travail ?

Rapportons ce fait à un passé qui nous semble très lointain désormais ou l’exploitation, caractéristique du rapport de classe, faisait que la bourgeoisie ne pouvait ignorer ce qu’était la condition ouvrière et où chacun connaissait sa position et la prenait comme point de départ dans son rapport à sa propre classe et dans son rapport au monde. Aujourd’hui, nous avons perdu avec le morcellement du travail, la technoscience omniprésente dans la production comme dans la circulation et la sous-traitance en cascade, tout lien entre chaque élément et l’impression individuelle et collective à la fois de participer à la transformation du monde et éventuellement de pouvoir le changer ou le révolutionner. La production devient une opération de gestion dans un flux continuel de tâches socialement imbriquées sans que le sens de chaque activité ne soit visible dans l’ensemble et cohérent avec lui. Ce sens et cette cohérence, s’il existe, ne sont repérables qu’au niveau du capitalisme du sommet. Le développement des formes de travail précaire en constitue comme une caricature : celui d’une agitation désordonnée durant un temps donné. Une sorte de zapping permanent entre les frontières floues de l’emploi rajoutant au vide de l’existant et au vide de l’existence. On comprend alors le rôle accru du contrôle social dans la reproduction des rapports sociaux.

Ce que nous disons des conditions de travail actuelles il n’y a pas besoin d’aller en Chine pour le vérifier. Tout est là, dans les administrations comme dans un supermarché. Les nouveaux entrants sur le marché du travail ne peuvent plus guère s’identifier aux postes professionnalisés et ici fonctionnarisés qu’offrait encore la société du travail, car la société du capital les a profondément dénaturés ou vidés de leur sens progressiste en les fonctionnalisant. Le problème n’est donc pas tant celui d’une prise de conscience de l’évolution en cours, mais celui de trouver des brèches, des biais ou des médiations qui permettent d’insuffler des luttes pratiques, des plus infimes aux plus générales, pour manifester un écart quant à ce que tout employé reproduit chaque jour dans ses rapports au travail et ses relations aux autres, ce qui déborde de loin la seule question de la production29.

Que le refus de l’existant soit notre point de départ pour d’autres rapports sociaux voilà ce que nous visons.

 

Notes

1 – Le dernier texte de J. Wajnsztejn, Critique du travail et révolution du capital pour la revue Variations en est un exemple, disponible sur le site de Variations à l’article :
http://variations.revues.org/362

2 – Nous avons pu bénéficier sur cette question des retours de J. Wajnsztejn.

3 – Nous renvoyons en complément à deux textes d’Interventions parus au moment de la lutte contre le CPE : Blocages et embauchages et Hardblocking, disponibles sur le site à la rubrique Interventions.

4 – Cf. L’éditorial du n16 de Temps critiques : « Des grèves d’octobre-novembre 2010… » disponible sur le site à cette adresse :
http://tempscritiques.free.fr/spip..... Il n’empêche que la situation semble évoluer quelque peu. Par exemple à l’université Lyon 2, pendant la grève, une réunion organisée autour de la revue intempestive Journées critiques a largement débordé son cadre initial, occupant un amphithéâtre vu le nombre inattendu de présents et les discussions sur le travail et la critique du travail y furent particulièrement développées.

5 – La situation est encore bien plus critique dans des pays comme la Grèce et les pays du sud de l’Europe.

6 – Une revendication portée par l’UNEF dès le milieu des années 1960, puis reprise par Chirac dans les années 1990… mais restée sans suite jusqu’à maintenant.

7 – Cf. la brochure La forme d’abord d’André Dréan disponible à l’adresse :
http://www.infokiosques.net/spip.ph...

8 – Le lean management provient d’une analyse du fonctionnement des usines de Toyota Industries au cours des années 1980. Cette approche est transposée dans les entreprises pour tenter de maîtriser la création de « valeur » et les conséquences de la recomposition incessante de la production en mobilisant le salarié à tous les étages. La chasse aux « gaspillages » comme impératif voit les employés participer le plus souvent à la décomposition de leur propre poste tandis que le « capital humain » que ceux-ci représentent est le « surcoût » dans lequel on taille le plus facilement (malgré toutes les arguties managériales sur le sujet).

9 – La force de travail n’est pas produite comme des pommes de terre. Elle est une capacité humaine qui s’aliène, mais pas à n’importe quelle condition. Dans le même ordre d’idée, le chômage n’existait pas avant l’existence d’un « marché du travail » et ce marché particulier a été créé de toutes pièces ; il a été institué, la plupart du temps à l’initiative de l’État.

10 – Cf. D. Giachetti, M. Scavino, La Fiat aux mains des ouvriers, Les nuits rouges, 2005.

11 – J. Wajnsztejn, La révolution du capital, L’Harmattan, 2007.

12 – Voir : La valeur sans le travail, anthologie et textes de Temps critiques, L’Harmattan, 1999.

13 – Travailler en réseau ne signifie pas qu’il n’y a pas de structuration et de hiérarchisation du pouvoir ce que nous rappelons aussi quand nous parlons de l’État réseau.

14 – Cela a par exemple été le cas pour l’Italie où les opéraïstes ont joué l’opposition capital/travail dans les luttes de l’automne chaud de 1969 pour ensuite développer le mouvement, à partir de 1973, en dehors du lieu de production stricto sensu, car il était déjà devenu un lieu sans autres possibles. La critique du travail d’alors est apparue rapidement en décalage face aux arrêts d’embauche dans les grandes usines du Nord, face aux politiques d’externalisation avec recours accru à la sous-traitance et de dégraissage dans les forteresses ouvrières avec la mise en Cassa integrazione tandis que les syndicats se renforçaient comme partie prenante des négociations sur les nouvelles conditions générales du salariat.
La Cassa integrazione est une caisse tenue par l’État italien qui permet de compenser la perte de revenu des salariés de l’industrie et du commerce durant des périodes de difficultés pour une entreprise, c’est une forme de chômage technique. Celle-ci a été très utilisée pour expurger les usines, telle la Fiat, des éléments ouvriers les plus combatifs tout au long des années 1970 avant les licenciements purs et simples au tournant des années 1980. Elle continue d’ailleurs à être utilisée aujourd’hui afin d’assurer une certaine paix sociale sur la base d’un donnant-donnant minimum.

15 – Alors qu’en 1997 c’était les moins de 25 ans qui formaient la plus forte cohorte des chômeurs déclarés avec 623 000 individus, ce chiffre est aujourd’hui « tombé » à 542 000 ; à l’inverse, les plus de 50 ans qui étaient 395 000 atteignent aujourd’hui 679 000 individus.

16 – Pour prendre un exemple récent qui est celui des difficultés actuelles de l’automobile française, parmi ce que les experts relèvent comme cause du retard français dans la restructuration du secteur, c’est l’insuffisante robotisation : l’Allemagne en a trois fois plus, l’Italie deux fois ! On n’est donc pas près d’embaucher et cela montre aussi qu’une politique de « réindustrialisation » n’a que peu avoir avec une reprise de l’emploi industriel.

17 – Pour plus d’éléments sur l’ANI, cf. Intervention n11, disponible sur le site :
http://tempscritiques.free.fr/spip....

18 – Le 17 janvier 2012 pour être exact : http://rebellyon.info/Le-17-janvier...

19http://blogs.mediapart.fr/blog/jean...

20 – On peut étendre cet exemple aux rapports houleux entretenus par cette même CGT avec les travailleurs sans-papiers en lutte au moment de l’occupation des locaux du syndicat par ces derniers, à Paris, en 2012.

21 – Pour ne pas tout rejeter sur le dos de la CGT, il faut reconnaître que tous les derniers gouvernements, de droite comme de gauche ont cherché à psychologiser la question du chômage puisqu’ils ne pouvaient la résoudre et que cela est passé par une stigmatisation individuelle du chômeur (cf. la notion de « chômeur volontaire » ou celle de « préférence française pour le chômage » ou encore l’insistance sur l’inadéquation des formations délivrées eu égard à l’existence de manque de personnel dans des métiers particuliers à caractère manuel, sous-entendu : du travail il y en a… pour ceux qui en veulent !).

22 – Nous faisons bien la différence entre activité et travail. Le travail est activité aux ordres de la domination du capital, soit la mise à disposition de temps selon une certaine discipline. L’activité ne se trouve pas pour autant cachée sous le travail, car présente partout comme activité en crise et activité de crise : les renversements entre activité et travail sont incessants aujourd’hui. Toute activité se voit transformée en travail rien ne devant échapper à la société capitalisée tandis que le travail peut aussi être une ressource pour l’activité.

23 – J. Wajnsztejn, « Chômeurs sans honte », Temps critiques n10 : « C’est la modification des formes de chômage (accroissement du nombre de chômeurs de longue durée, extension des situations “d’inemployabilité”) qui transforme aujourd’hui les conditions du contrôle social des chômeurs, ce qui permet l’émergence du mouvement dans son décalage par rapport aux valeurs du travail.
Ces valeurs ne peuvent en fait perdurer quand les liens avec le travail se distendent au point que la situation ponctuelle de perte d’emploi se transforme en inemployabilité. Au niveau collectif on a alors plus à faire à une “armée industrielle de réserve” (Marx), composée d’individus constamment changeants et prêts à s’intégrer au procès de production, mais à une masse composite de surnuméraires ; et au niveau individuel cette situation d’inemployabilité casse tout un processus social lié à la centralité du travail qui garantit justement la reproduction capitaliste des rapports sociaux. »

24 – Cet un aspect naturellement subversif qui fait la force de contestation potentielle de la jeunesse : elle est moins atteinte par les « nécessités » de la vie adulte et sérieuse. Elle a donc moins de « besoins » ou alors ces besoins sont plus « radicaux ». Mais seules certaines situations historiques particulières expriment cette potentialité de révolte latente de la jeunesse.

25 – Cf. le texte numérique de C. Hamelin et R. Tarlet : « La figure du chômeur : une construction imaginaire », est disponible sur Actu.chomage.org.

26 – Pourtant les enquêtes menées parmi les employés de Pôle-emploi marquent la montée importante de stress et de situations de dépression devant la distance toujours plus grande qui s’établit entre la mission de service public ressentie comme abandonnée par beaucoup de salariés et les exigences de la Direction qui poussent à « faire du chiffre » (comme dans la police et maintenant dans toutes les institutions « du social » qui sont sommées de faire du « sécuritaire » ou au moins du contrôle social).

27 – Lire ce dossier très clair sur la vacation dans la fonction publique territoriale :
http://www.cig929394.fr/sites/defau...

28 – Loi relative aux libertés et responsabilités des universités.

29 – Nous pensons à ce qui se passe au niveau de l’usine sidérurgique ILVA de Tarente avec un refus par une partie des ouvriers de supporter plus longtemps le chantage « ou la vie ou l’emploi » !