Version imprimable de cet article Version imprimable

Quatrième de couverture du numéro 18

, par Temps critiques

Le capital, dans ses nouvelles tendances (capitalisation plutôt qu’accumulation, reproduction « rétrécie »), s’appuie sur une organisation dans laquelle les flux de production et d’information, de finance et de personnes, ne dépendent pas seulement de la logique du profit, mais aussi des jeux de puissance au sein de réseaux interconnectés mais malgré tout hiérarchisés. Aujourd’hui, l’État a perdu l’autonomie relative qui était la sienne dans la société de classes à l’époque des États-nations. Il ne peut plus être perçu comme la superstructure politique d’une infrastructure capitaliste comme le concevait le marxisme orthodoxe. Son passage progressif à une forme réseau à travers laquelle il est présent, actif et englobant, tend à une symbiose entre État et capital. L’État n’est plus en surplomb de la société, puisqu’il a recours aux outils connexionnistes pour résorber ses propres institutions dans diverses formes d’intermédiation. Il en résulte que la forme de domination qu’il exerce n’est plus extérieure aux individus, mais basée sur l’internisation/subjectivisation des normes et des modèles dominants. Parmi ces modèles, celui de la technique joue bien sûr un rôle central dans la transformation des forces productives et des rapports sociaux. Ce modèle technique, induit par le développement capitaliste, est aujourd’hui indissociable de choix politiques qui se présentent comme incontournables. Et il finit par s’imposer comme une seconde nature. Nous critiquons toutefois l’hypothèse d’un « système » technique autonome ou « macro-système », même si ce dernier terme peut avoir une valeur heuristique, à condition de ne pas lui accorder des qualités d’autonomie, d’automaticité selon la conception du « capital automate » ou au contraire de finalisme, qu’il ne possède pas.

Il en est de même de la notion de « système » capitaliste : le capital ne tend vers l’unité qu’à travers des processus de division et de fragmentation qui restent porteurs de contradictions et réservent des possibilités de crises et de luttes futures. C’est bien pour cela qu’il y a encore « société » et que nous parlons de « société capitalisée ». Le capital n’a pas engendré une domestication totale car il se fait milieu, valeurs, culture, provoquant ainsi une adhésion contradictoire d’individus qui participent ainsi à une « ambiance », celle de la société capitalisée.

L’hypothèse d’une « crise finale » du capitalisme qui posséderait une forte dynamique le poussant à « creuser sa propre tombe » a été démentie par les faits, même si sa dynamique actuelle repose sur le risque et donc suppose la possibilité et l’existence de crises. En effet, le capital n’a pas de forme consacrée, commerciale et financière à l’origine, industrielle ensuite. Si cette dernière forme a pu constituer un facteur de stabilisation pendant une période historique, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les jeux de puissance, associés à l’esprit de commerce ou d’entreprise et à la soif de profit des uns, le désir d’un travail bien fait, l’intérêt pour la recherche et la création de savoirs chez d’autres, poussent sans cesse vers l’innovation.

Nous assistons à ce mouvement au cours duquel la société capitalisée s’émancipe de ses contraintes sans que nous-mêmes ayons révolutionné ce monde. Quelle alternative alors nous permettrait de maintenir une perspective révolutionnaire ?