Temps critiques #11

La nature c’est aussi l’être humain

, par Guy-Noël Pasquet

L'activité de l'homme sur la nature est aussi une activité sur l'être humain. En ce sens, tout discours sur la nature est un discours sur le rapport de l'homme à la nature. La nature, c'est l'être humain. La nature est quelque chose que l'on s'est donné, et ce qu'on appel nature n'est envisageable que comme rapport.

Environnement

L'environnementalisme, réactivation d'un anthropocentrisme historique grec apparaît avec le xxe siècle. Il pose l'homme séparé de la nature en aménageant une nature urbaine, une nature arrangée, propre, maîtrisée, contrôlée, qui fait figure de nature dont l'exploitation est parachevée, devenue inessentielle dans le procès de production. La nature apparaît du coup comme périphérique soit comme nostalgie, soit comme résiduelle dans les aménagements urbains où il semblerait que plus les réseaux routiers se développent, plus nous avons des ronds-points aménagés qui veulent, soi-disant, améliorer l'environnement. C'est, comme le disait déjà M. Bookchin en 1974, « une attitude instrumentale qui considère la nature comme un habitat passif, un agglomérat d'objets et de forces extérieures qu'il s'agit de rendre plus propre à l'usage humain, sans se préoccuper de ce que peut bien être cet usage. De fait, l'environnementalisme se préoccupe des ressources naturelles, des ressources urbaines ou même des ressources humaines ». Parce que l'environnementalisme ne met pas en question la domination de l'homme sur la nature, qu'elle renforce au contraire cette domination en mettant au point des techniques de limitation des risques M. Bookchin lui oppose l'écologie. Pour lui, ces deux termes s'opposent dans la mesure où l'écologie ne peut être qu'écotopie, c'est-à-dire écologie qui renvoie nécessairement à une société anarchiste. Mais c'est pour mieux nous ramener une conception de la biosphère qui s'équilibre dans l'assimilation de la diversité pour elle-même, en tant que valeur inscrite dans une représentation spiritualisée de l'univers vivant. Le grand tout vivant, l'harmonie, cette sacro-sainte idée qui nous renvoie à Hegel et son « unité dans la diversité » qui a donné la conception engelsienne de la nature : une conception abstraite de la dialectique où la posture de l'homme n'existe qu'abstraitement et échange avec la nature dans son rapport fétichisé. Et même lorsque M. Bookchin ramène son « égalité entre inégaux », il conserve la référence à l'égalité abstraite malgré ses références aux communautés tribales. S'il utilise les sociétés sans État de Pierre Clastres, il tombe dans les mêmes impasses en faisant l'hypothèse que si l'égalité existe, c'est bien avec l'émergence d'un État, sans quoi, l'égalité, comme l'inégalité, ne pouvant référer à aucune structure de domination, ne pourrait exister. Dans ces communautés tribales, l'individu n'existe pour ainsi dire pas, si ce n'est comme partie d'un tout mais au sens d'élément d'un ensemble. Ces communautés là sont des négations de l'individu, et se référer à elle, c'est oublier le procès d'individualisation que le capitalisme à largement contribué à rendre opératoire et visible. Par contre, si se pose aujourd'hui un problème par rapport à la nature, c'est bien parce que le processus d'individualisation devient de plus en plus négation de toute communauté humaine, pour ne pouvoir errer que dans une communauté particulière, celle du capital qui se caractérise par sa matérialité. Lorsque l'écologie essaie de sortir ce cette ornière, c'est soit en retombant dans l'environnement, soit en mystifiant une nature hors de l'homme : Gaïa, la terre mère. Autrement dit, les écologistes consomment largement la rupture de l'homme avec la nature.

Du même coup, la nature est regardée comme lieu de ressource, d'harmonie qui donnera, au début du xxe siècle, les premières mises en œuvres des espaces protégés où l'homme était interdit. La nature devient une valeur abstraite au même moment où la force de travail de l'homme devient inessentielle. On en arrive à une nature fonctionnarisée où seuls les agents de l'État sont autorisés à comprendre la nature et en protéger l'accès aux hommes. Parcs et réserves, même si ce n'est pas exactement la même perspective, participent largement à ce processus et ne font que confiner les hommes à s'entasser un peu plus dans les villes. C'est aussi les tenants de l'environnement qui militent avec ardeur pour une économie durable, parce qu'ils veulent nous montrer une nature qui serait lieu de ressource et harmonie comme quelque chose qui serait vrai de toute éternité et que l'homme serait venue sauvagement corrompre. Il y a, dans cette perspective, une forme de conservatisme qu'on retrouve chez les partisans de la « régénération de la nature », ainsi qu'une hypermodernité qui ne ferait que parachever l'idée que notre monde doit se soumettre aux lois éternelles de la nature sur lesquelles la science s'est construite et qui permet au capital de trouver les arguments pour qu'il se présente à nous comme étant lui-même cette nature éternelle, ressource et harmonie. Et dès qu'on cherche à présenter cet nature comme étant universelle, on présente une nature spatiale qui à perdue toute son historicité, une nature détemporalisée. Une nature qui se présente justement, non une nature qui se vie, avec laquelle les enjeux sont donnés, que ce soit les enjeux sur l'être humain, ou sur une nature… humaine.

L'anthropocentrisme historique considérait la nature du seul point de vue de la productivité acquise sur la nature, et plaçait la nature comme ressource a exploiter qui permettait à l'homme d'aménager ses villes et d'alimenter en matières premières ses fabriques.

Cependant, tant que la production agricole domine, la vie reste liée à la nature et à au temps cyclique, c'est-à-dire à un temps qui fait retour, qui se présente comme naturel et donné. Il acquière une dimension sociale autonome lorsque s'achève son autonomie dans l'accumulation. Gagner du temps, c'est aussi accroître la possibilité d'appropriation de la nature et en faire une propriété des hommes. Et inversement, considérer la nature comme propriété de l'homme permet de gagner du temps (cf. « Acte et puissance », tc no 8).

Avec l'environnement, la nature est devenue, comme la force de travail, inessentiel au procès de production. On pourrait même dire que toute production automatisée se donne comme fin la possibilité de fonctionner sans nature : sans activité humaine, mais aussi sans produit issue de la nature. C'est le cas lorsqu'on impose des quotas à l'agriculture, mais aussi lorsque les produits se désubstantialisent, c'est-à-dire renferment de moins en moins de substance comme c'est le cas dans les produits alimentaires hygiénisés, allégés, stérilisés, ou encore dans une nature qui deviendrait plus productive elle-même, c'est-à-dire qu'avec moins de quantité de nature, on fait une plus grande quantité de produits (cf. le transgénique, ou plus anciennement, l'hybridation).

Le procès de production du capital conduit à ce procès de valorisation où la valeur semble se valoriser elle-même, et où toute activité semble subsumée par le capital. Pourtant, il reste encore de la nature. Bien peu, certes, et l'écologie devant la menace fait souvent preuve d'un anti-humanisme contrairement à l'environnement qui place l'homme au centre. Pour certains « verts écologistes », la nature à des intérêts qui lui sont intrinsèque et que, par conséquent, elle peut prétendre à des droits comme tout sujet qui a des intérêts à défendre, voire même que les hommes doivent se conformer à des obligations envers elle. De cette position, on a alors tous les courants écologistes qui vont du plus doux au plus durs.

Technique

L'écologie qui se voudrait la plus douce propose de s'imposer non pas contre le capital, mais dans sa perspective. Elle propose un « développement durable », c'est-à-dire une manière de combiner le procès du capital pour qu'il puisse se reproduire encore plus longtemps. Autrement dit, cette écologie là est fondamentalement réformiste (cf. Heidegger et la technique). Elle débouche finalement sur un technicisme du juste milieu et des pratiques militantes qui sombrent trop souvent dans un activisme qui ne peut toucher la question de la transformation du monde. On se battra ici contre l'implantation d'une centrale nucléaire pour favoriser d'autres types d'énergies, et on se battra là contre l'implantation d'éoliennes qui défigure le paysage, renvoyant à l'énergie hydraulique, et on se battra ailleurs contre l'implantation d'un barrage. Est pensé les conséquences de la technologie, mais jamais sa substance, ce qui l'empêche de proposer un nouvel ensemble technique. Technique et technologie ne sont pas à assimiler. Si la technique est consubstantielle à l'hominisation (cf. Leroi-Gourhan, ou encore Simondon), la technologie est une idéologisation de la technique qui pose l'activité comme moyen et non comme fin que se donne les hommes entre eux. L'écologie ne pose pas la question de la domination sur l'énergie, c'est-à-dire de « l'énergie comme mesure de la capacité du capital à emmagasiner et déchaîner de la puissance qu'il tire de la stérilisation et de la vampirisation de la vie » (Lovelock, gourou de l'écologie radical). Et lorsque les écologistes s'adonnent à une critique de la domination sur l'énergie, par exemple, c'est pour nous jouer les « petits » contre les « gros », ou les « gros moyens » contre les « petits », comme si la partition du monde se jouait encore sur une lutte des classes qu'ils ne reprennent d'ailleurs jamais, si ce n'est sous sa forme la plus caduque, à savoir le tiers-mondisme avec la partition nord-sud. Voilà nos écologistes qui se mettent alors à penser la planète de manière hollistique, voire même totale pour ne pas dire totalitaire.

Dans la perspective d'une écologie mondialisée se trouve l'idée d'un gouvernement mondial (cf. Rio et ses suites), qui assurerait à la planète une gestion de la démographie, mais une gestion douce. Il ne s'agirait pas d'éliminer des vies parce qu'il y en aurait trop, mais bien au contraire de se saisir de la reproduction pour gérer les naissances ; seule manière de gérer la surproduction d'enfants dans le tiers-monde. Ici, la technique n'est pas interrogée, parce qu'elle correspond à l'impérialisme planétaire de l'homme organisé techniquement par l'entremise de l'impérialisme de la matière, de sa provenance et sa destination. Technique qui, pour gérer la planète, se présente, d'une certaine manière, comme prothèse. Sans gestion technique mondiale des naissances, il semblerait qu'il n'y aurait pas d'avenir pour les hommes, de la même manière que sans gestion technique mondiale de la matière, on assisterait à un déséquilibre qui soit fatal aux hommes. L'être-ensemble des hommes serait alors soumis à leur propre aliénation à leur technique, et non plus à la nature, puisque sans technique, plus de nature. Avec cette technique qui commanderait l'être-ensemble des hommes, le réel ne serait plus autre, extérieur, étranger non assimilé, mais un stock. La technique serait donc inconditionnée parce qu'elle ne posséderait aucun critère extérieur à elle-même. Elle deviendrait un processus sans fin et il s'agirait de gérer ce qui advient. La technique n'est donc plus l'activité d'hominisation des hommes et des femmes, elle devient une activité autonome qui anthropologise la nature. La technique en elle-même est processus d'hominisation parce qu'elle inscrit immédiatement l'homme dans son devenir. C'est parce qu'on trouve des traces techniques lors de fouilles que l'on construit et reconstruit en permanence l'histoire humaine, et dans cette perspective, la nature est alors une nature brute, vierge de toute traces humaines techniques. C'est l'idée cartésienne de la nature comme ce que nous saisissons par l'intelligence. La technique se présente ici comme la représentation de l'intelligence humaine. Et il est vrai que les découvertes de techniques humaines amènent souvent à reconsidérer la nature humaine, parce que les outils en disent autant sur la vie sociale ou communautaire des hommes et des femmes que sur leur rapport à leur nature. Toute histoire de l'homme est aussi une histoire de la nature, puisque toute histoire de l'homme est une histoire de son rapport à la nature. Autrement dit, il ne peut y avoir qu'une histoire humaine de la nature, de la même manière que toute histoire humaine est une histoire de l'aliénation de l'homme à la nature.

Aliénation

Une aliénation initiale en tant que toute activité est sociale dans la mesure où toute activité est liée à la nature comme médiation de l'homme avec l'homme et comme médiation de l'homme avec la nature (cf. tc no 4). Autrement dit, l'activité est un seul et même objet pour l'humain et la nature. L'activité humaine est cette aliénation au temps comme nécessité pour les individus d'objectiver l'humain et la nature. Mais c'est aussi par et dans cette aliénation initiale que l'humain est du temps devenu corps parce que l'activité marque les corps et la nature. C'est lorsque ce temps se spatialise que l'on passe de l'aliénation à la réification, c'est-à-dire du processus à un système (cf. Lukács, Histoire et conscience de classe). Cela suppose que l'activité humaine ne soit plus au centre, constitutif de la temporalité de l'humain et de la nature, mais qu'elle devienne seconde dans la mesure où le temps lui-même s'autonomise comme étant la médiation. Et ce n'est que dans ce temps qui s'autonomise que l'activité deviendra une simple possibilité, un simple moyen de produire et de reproduire un rapport social en se saisissant de l'espace de la nature. La maîtrise du temps sera lié ici à la domination d'espaces nouveaux qui pourront être dominés et maîtriser. L'État et la religion saisiront aussi bien l'organisation de l'espace que la maîtrise du temps. La religion monothéiste fera de l'irréversibilité du temps entre la genèse et la Rédemption sa vaine et présentera la vie concrète et terrestre comme Rédemption. C'est peut-être aussi la raison qui fait qu'on donnera à Rousseau cette idée que tout ce qui est humain est corruption. Rousseau considérait, contre le cartésianisme, que les animaux avaient une sensibilité, et contre Aristote, que ce n'est pas la raison qui fait la différence, mais l'histoire et la culture. On se souvient de sa phrase célèbre : « l'homme, n'est ni bon, ni mauvais, c'est la société qui le corrompt ». La société est ici présentée comme le non naturelle, ce qui dénature.

C'est aussi de cette saisie de l'espace et du temps qu'émerge les objets. Et c'est de cette manière que le rapport homme-nature devient un rapport d'objets et que dans celui-ci émerge la psyché (au sens de Castoriadis). Du même coup, nature et humain pourront aussi participer de ce même rapport et faire l'objet d'une production. Production de l'humain dans et par le mode de production capitaliste comme l'a largement élaboré Marx qui, dès sa thèse, évoque l'activité humaine comme réflexivité existante de l'activité de la nature en elle-même. Réflexivité que conserve la force de travail comme part (maudite ?) du mode de production capitaliste, dans la mesure où elle réintroduit dans le procès de production, le rapport homme/nature, c'est-à-dire la réflexivité pratique de la nature du capitalisme et la possibilité, par la conscience de classe du prolétariat, de la réflexion théorique sur la nature du capital. Conscience qui n'est pas assimilable aux conditions économiques du prolétariat, mais à l'opposition de l'homme et de la nature. Si la bourgeoisie était vilipendée, ce n'était pas parce qu'elle n'était pas aliénée, mais parce que l'aliénation ouvrait au règne de la marchandise, c'est-à-dire d'une saisie du temps et de l'espace par les objets qui étaient de moins en moins porteur de l'objectivation des hommes et de la nature. Être contre la bourgeoisie, c'était d'abord être contre ce monde de la marchandise qui était un monde bourgeois. Autrement dit, c'est la condition de son activité aliéné qui pouvait donner la possibilité au prolétariat de prendre conscience du monde réifié, chosifié. L'aliénation suppose, pour Marx, l'existence d'une essence, c'est-à-dire ce retour à l'activité humaine aliéné à la nature. La réification, par contre, serait la conséquence de la saisie de l'activité humaine. Mais dans un cas comme dans l'autre, le capital se présente comme l'autonomisation du rapport de l'homme à la nature ; aussi bien nature extérieure que nature intérieure. Le capital tend à devenir une médiation immédiate dans la mesure où il se saisi de l'activité des hommes et des femmes, ainsi que de la nature, en reléguant hommes, femmes et nature à la périphérie pour n'en conserver que la valeur abstraite. En ce sens, le capital est un gros consommateur de temps et d'espace qui sont les matrices de la valeur. La nature, comme l'homme est, en ce sens, une valeur abstraite, sans activité autre que de se présenter dans tous les espaces sans temporalité. Ne reste que la carcasse désincarnée d'une nature et d'un homme qui ont perdu leur puissance pour la remettre dans le procès du capital.

Il y a confusion entre l'homme naturel et la nature de l'homme. Et si le prolétariat à reconnue la nature de l'homme dans la condition des individus-ouvriers, la pratique révolutionnaire s'est trop souvent fixée sur cette autonomisation sans prendre en compte le procès d'individualisation avec le procès d'inessentialisation de la force de travail. Fixation que l'on retrouve alors sous la forme de mouvements qui expriment des « besoins sociaux » comme besoins futurs du capital et cela, tout en considérant que ces besoins seraient des besoins « naturels », « authentiques ».

S'il fallait reprendre la dialectique de la nature au regard du procès d'individualisation, il faudrait reprendre l'affirmation de L. Debray dans Temps Critiques selon laquelle affirmer l'antériorité politique de l'individu, c'est affirmer une politique de non domination. Non domination de l'homme sur la nature, mais aussi condition matérielle pour qu'il y ait non domination de la nature sur l'homme. Ainsi, la dialectique de la nature devient caduque. Il ne s'agit pas tant de savoir que faire de la nature, mais de considérer la nature comme « reflet » des rapports sociaux que sont capables de vivre les hommes. La nature n'est que le reflet de notre « être ensemble » et de notre capacité à politique à instituer un devenir-autre. La nature n'est rien d'autre que notre histoire, et sa production n'est autre que nos rapports sociaux, de la même manière que notre rapport social-historique n'est autre que la nature.

Il faudrait sauver la planète coûte que coûte, parce que la vie est précieuse, la vie serait tout, mais non pas au sens de l'humanisme kantien, mais parce que l'homme est le sommet de l'évolution naturelle. Et ce serait au nom de cet homme-sommet-de-la-vie qu'il faudrait défendre la planète contre l'homme lui-même. Dans cette contradiction s'affirme un pacifisme qui impose un démocratisme mondial comme « le moins mauvais des systèmes » et permet surtout de préserver la vie quelle que soit les conditions de cette vie. On ne touche pas à la vie humaine trop précieuse, on la préserve contre tout, et même contre l'usure de la vie. On tombe alors dans des batailles qui ne considèrent jamais la vie d'un point de vue singulier et concret, mais toujours d'un point de vue très abstrait qui se traduit par des injonctions faites aux individus : ne fumez pas, ne vous droguez pas, ne buvez pas, bref ! ne vivez pas, ça fait mourir ! La morale deviendrait enfin objective, c'est-à-dire naturelle. Le mal se confond avec l'anormalité ou, pour le travail social, avec la pathologie qui n'est qu'une inadéquation de l'individu concret à la vie abstraite et universelle.

De l'autre côté, l'écologie, et particulièrement l'écologie Française, par la voix de Jean-Paul Deléage lui-même dans son dictionnaire sur l'environnement, ne nous dit-il pas que dans la nature il y a les producteurs (les végétaux), les consommateurs (les animaux), et les recycleurs (les champignons), et que la pollution serait un dérèglement de ca processus, complètement abstrait et, là encore, nous assigne à ne pas jeter nos ordures, ne pas entrer en rapport à la nature en ramassant des champignons par exemple. Ainsi, toute cette construction de la nature et de l'homme sous leur forme abstraite doit apparaître comme pureté et qui cache en fait la pureté du triptyque production-consommation-recyclage sans entrave, sans perte, avec zéro déperdition. Pour l'homme, la mystification du sport en est une illustration, comme le montre les querelles autour de la question du dopage. Lorsqu'il s'agit d'une substance prise dans le cadre d'une création culturelle, on ne se soucis guère qu'elle est le fruit d'une forte absorption de drogue qui aide à la création. Apollinaire et son absinthe l'illustre. Mais dès qu'il s'agit du dopage , on considère que la création physique n'est pas du même ordre, comme si le corps appartenait à une autre sphère que la créativité artistique et culturelle. Ou peut-être, pense-t-on que les sportifs sont des crétins qui n'ont pas la possibilité de savoir ce qu'il font. L'autre hypothèse, c'est de dire que la dimension physique devient de plus en plus approprié par la domination du capital dans la mesure où elle se saisit même du corps des hommes et des femmes, et qu'il est grand temps qu'on arrête de nous faire croire que nus disposons de nos corps (cf. les anti-spécistes, et entre autre Y. Bonnardel). Et de la même manière qu'on fait la chasse à ceux qui se dopent, on fait aussi la chasse à ceux qui se droguent puisque là aussi, même la création culturelle est de plus en plus instrumentée dans le procès du capital.

De la politique écologique, tous les parties en ont eu dans leur programme, sauf peut-être le partie communiste. C'est bien davantage les conservateurs du début du siècle qui étaient les plus ardent défenseurs de la nature. Il faut dire que si la nature est quelque chose qui est donnée de tout temps et que l'homme corrompt, le conservatisme peut s'en donner à cœur joie ! S'ouvre en effet tous les extrêmes possibles visant à maîtriser la démographie, à segmenter les races et à s'interroger sur la race la plus « naturelle », ou en tout cas correspondant à cette définition du naturelle, c'est-à-dire non corrompu par l'homme. L'homme pur peut dès lors émerger comme celui qui respecte les lois naturelles que la nature nous donne. C'est donc l'homme rationnel qui serait naturel, et le métissage serait évidemment la corruption.

Le « bio »

De la même manière que le procès d'inessentialisation de la force de travail agit sur l'activité physique, extérieure des hommes et des femmes, ce même procès agit sur l'activité organique interne. Si la rationalisation du procès de production vise à se défaire de toute référence à la nature parce que celle-ci entre dans les fabriques pour s'humaniser, il en est de même du procès de consommation où les marchandises doivent se consommer de plus en plus rapidement, dans l'accélération équivalente au procès de production. Il en résulte que la marchandise emprunte au procès qui l'a produit et est elle aussi porteuse d'une rationalisation qui tend à se défaire de l'activité humaine sur l'autre versant : l'activité de consommation. Les produits sont donc de plus en plus facile à consommer, et l'ère de la société de consommation est bien révolue. Il s'agit bien plus de consommer des produits qui nous façonnent à l'image du procès de production. Avaler des marchandises qui sollicitent de moins en moins notre organisme, c'est aussi donner à notre organisme la structure d'un procès de production qui nous construit à son image. Nous avons de plus en plus besoin de lui pour parvenir à éliminer (cf. le recyclage), de la même manière que nous avons de plus en plus besoin de ses excédents pour reproduire son cycle. En nous considérant comme organe de consommation, le procès du capital trend à rendre notre organisme de plus en plus performant et y répond par la prescription du propre et du « nettoyage », c'est-à-dire en nous assignant à éliminer nos impuretés. Autrement dit, il procède encore avec sa rationalité visant à séparer le pur de l'impur, le pur étant plus durable et stable que l'impur.

Pas étonnant alors qu'on assimile une consommation « bio » avec une consommation « propre ». Il ne s'agit pas de consommer le procès d'activité de production d'une marchandise, mais d'être bien sûr que le produit ne renferme pas de bactéries qui viendraient souiller la nature de l'homme : son corps considéré comme le représentant de la nature en lui. Aussi, la certification « bio » est-elle donnée à des produits qui sont confectionnés sous serres, hors sol, avec sas de décontamination à l'entrée, eaux, airs et terre décontaminés. Et les directives européennes en matière de consommation renforcent ce processus avec l'obligation de stérilisation du lait, du fromage et de tout ce qui vie par et avec les bactéries. Cependant, à force de vider toute alimentation de ce qui vie en elle, c'est toute l'activité intérieure des hommes et des femmes qui devient inessentielle. Pourquoi faudrait-il posséder des anti-corps et tout un système complexe d'assimilation et d'élimination de la nourriture si la production a déjà fait le travail ? Dans le corps même des individus, il semble que la nature soit ce qui ne doit pas bouger, ce qui est vrai de toute éternité, c'est-à-dire ici, la non-altération du corps. Pas étonnant que l'inessentialisation de plus en plus prégnante de l'activité intérieure des hommes et des femmes conduit à des aberrations symptomatique tel que les maladies du système immunitaire qui ne sait plus trop à quoi il sert, ou encore la boulimie-anorexie et les délires des tops modèles et de la beauté dont le canon est le corps jeune, d'enfant, impubère si possible filiforme et presque asexué. Pas étonnant aussi qu'on assiste à la folie de la pédophilie qui est une exaltation de la nature vierge et un nihilisme de toute historicité.

Rapport de sexes

Dans cette nature où l'homme ne peut plus être dans son activité, c'est tout le rapport du sexe à la sexualité qui est évacuée comme ce qui vient articuler l'être humain à la nature et ouvre l'homme à l'autre dans un rapport social singulier. Lorsque le sexe perd sa sexualité on est ramené au sexe en soi. Là aussi, les tenants de la pureté qui serait fidèle à la nature répondent par un sexe qui ne doit servir qu'à sa fonction : reproduire l'espèce ; et de l'autre côté, on a toutes les pratiques du sexe qui vont vers la mutilation --- ou l'auto-mutilation — comme pour forcer le chemin qui ramènerait à une possible activité dans ce monde. On en est là non seulement à savoir quoi reproduire (qu'est-ce que c'est finalement l'être humain), mais aussi à savoir pourquoi se reproduire si l'homme est en trop, voire même comment se reproduire. La reproduction elle-même est de plus en plus saisie par le capital et sa pratique scientifique qui suit, contrôle et balise la seule reproduction autorisée, à savoir celle qui n'altérera pas les corps et qui produira des corps propres.

Alors que le procès de production capitaliste ne s'est intéressé qu'a l'organisation et à la rationalisation de l'activité humaine, il s'appropriait aussi la matière première et ne justifiait sa rationalisation que par la finalité de sa mise en œuvre : la marchandise. Le romantisme, d'une certaine manière, reproduit ce modèle dans la mesure où il s'agit de vivre dans la nostalgie ce qui était et n'est plus, comme disant quelque chose sur ce qui pourrait être. On a ici l'image des préliminaires, de la cours faite à une femme et qui ne peut faire l'apogée que de cette nature première qu'est la femme encore vierge, ou à l'inverse, l'image de la relation harmonieuse avec l'autre, sans écart, sans fatigue qui correspond à la femme idéalisée et sert souvent à faire de la femme l'objet de cet idéal. On pourrait s'étonner de ces propos rapides qui conjuguent couple et procès de production, que ce soit l'un comme l'autre ils articulent l'homme à la nature. Le procès de production dans le cadre de l'activité de production et de sa reproduction, le couple comme activité de reproduction et de sa production. Mais que se passe-t-il lorsque le procès de production se saisie de la reproduction ? D'une part, il mystifie le produit de la reproduction (l'enfant-roi) et il favorise la famille au point d'en prendre en charge tous les aspects. Du coup, il produit des individus qui sont de plus en plus fonctionnarisés (femme, mère, père, homme, enfant, vieux, hétéro, homo, etc.), comme rationalisation du procès de reproduction. Et du côté de la fonction particularisée, l'individu se retrouve pris dans des contradiction qui le font osciller entre son autonomie et sa dépendance à une totalité dont la plupart du temps, il ne parvient pas à en saisir le sens.

C'est dans ce cadre qu'émerge le pacte civil de solidarité qui pose à la fois la question de la reproduction, mais aussi celui des rapports entre les individus et de leur individualité. Comment se reproduire et avec qui ? Irène Théry posait le problème de la manière suivant : le deux est-il indépassable ? La structure du couple est-elle une donnée naturelle, culturelle, éternelle ou conjoncturelle ? Au regard de l'histoire, la reproduction dans le couple est assez récent. Les premières formes de vie se reproduisaient en se divisant. Et ce n'est pas étonnant qu'au moment où la question de la reproduction se pose, on voit réémerger cette forme de reproduction par l'intermédiaire du clonage. À l'inverse, on s'aperçoit vite que la reproduction n'est plus seulement une histoire de couple, dans la manière, par exemple, dont les grossesses sont médicalisées et où l'homme à souvent le sentiment d'être le second après les médecins. Par ailleurs, que se passe-t-il lorsque nous avons à faire à des mères porteuses, ou qu'on recourt à des banques de spermes ? On voit là que la reproduction ne se fait pas seulement dans le couple, mais qu'elle se fait de manière sociale. Le rapport d'I. Théry posait donc ce constat et se demandait si la structure juridique du couple ne devait pas prendre acte de ces transformation et proposer un pacte permettant de construire la structure familiale reproductive sur autre chose que le deux.

Si la perspective est assez intéressante parce qu'elle permet de réfléchir en reposant ce rapport à la nature, il reste à mi-chemin dans la mesure où justement, il ne fait que poser la question sur le plan de la structure juridique du couple sans poser la manière dont cette structure juridique articule justement l'homme à la nature et le rend abstrait. Le corollaire de cette structure juridique du couple, c'est le divorce et la manière dont la justice prend acte de cette séparation sans en donner les enjeux. Comme articulation de la reproduction, la garde de l'enfant est souvent un enjeu parce qu'on a là la reproduction du rapport d'appropriation de la nature. Comme matière première, l'enfant est porteur d'une intégration de l'ensemble du procès de production du capital qui cherche à se reproduire. L'autorité, quelle soit parentale ou autre, n'est qu'une forme d'appropriation d'une origine, et conséquemment, présuppose la génération et un axe linéaire du temps qui impose une domination de ce qui est avant sur ce qui est maintenant, et une domination du devenir sur ce qui est présent ; de la même manière que la nature comme ce qui serait préalable à l'homme devient dominant comme étant la condition même de ce qui peut advenir. Tel est, en tout cas, le discours des écologistes. Ainsi, pactiser sur l'origine renvoie toujours à une question de pouvoir et de domination. Aussi, réfléchir sur la reproduction aurait aussi dû être l'occasion de prendre acte du procès d'individualisation et affirmer le primat politique de l'individu comme politique de non-domination. Ceci revient à affirmer aussi le primat de ce qui est là, c'est-à-dire l'activité des hommes et des femmes comme finalité, et non leur matière première ou l'objet produit. Cela revient aussi à affirmer qu'il n'y a pas de début (donc pas de génération). Et ceci conduirait aussi à défaire les fonction de la famille (mère, père) pour ne conserver que l'unité de la jouissance de deux êtres comme reproductrice de leur être, mais aussi de leur rapport. Supprimer cette unité et la scinder en deux revient à séparer la jouissance de la reproduction et conduit, du même coup, à jouer le couple contre la famille, la jouissance contre la reproduction, l'habitude contre l'exaltation amoureuse, la durée contre la passion.

Si la pilule contraceptive est le fruit de revendications de femmes pour le droit à la jouissance, le viagra masculin est le fruit d'une défaite de la sexualité au profit du sexe. Mais dans ces deux médicaments qui n'ont pas le même effet, mais vise tout deux la jouissance, le coût du viagra laisserait penser que la sexualité masculine vaut, encore aujourd'hui, plus que la sexualité féminine. Mais là encore, cette activité de jouissance est-elle celle qui vaut le plus au regard de la manière dont le couple inscrit socialement ? Vaut-elle plus au regard de l'objet de reproduction ? Et si l'inégalité de salaire des hommes et des femmes dans le travail est manifeste, elle n'est que le pendant de l'inégalité de garde d'enfant dans les cas de séparation. Mais dans la prise en charge de la reproduction par le procès du capital, cette question est immédiatement fonctionnarisée, voire même rationalisée au point de produire à la fois une mystification de la reproduction qu'il saisit en renvoyant donnant des prothèses pour la jouissance comme carcasse vide de toute sexualité.

Ainsi, que ce soit dans le cas de l'activité humaine productive, comme reproductive, le procès capitaliste ne supporte pas que l'humain s'articule à du non-humain. Du coup, ce rapport n'existant plus, la rationalisation de l'humain devient la seule référence et tout ce qui est autre est rapporté à ce référent et fait l'objet de remédiations ou de pathologisation du social.

Pourtant, comme processus, l'homme n'est pas autre chose que sa capacité à assimiler ce qui lui est étranger. Assimilation où il risque chaque fois de perdre sa condition d'homme. Mais n'est-ce pas là une formidable ouverture sur des possibles ? Assimilation de ce qui lui est devenu étranger, mais qui n'est autre chose que sa nature.