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supplément au numéro 8

Le sens du tous ensemble : le mouvement de l’automne 1995

par Temps critiques

Retour vers le futur

Mai-juin 68 : dernier mouvement « classiste » qui, dans sa force, réactive toutes les vieilles formes des mouvements prolétariens : grève générale, mythe du grand soir, occupation des lieux de travail, (auto)gestion ouvrière, rôle des avants-gardes… Mais ce mouvement aussi bien dans ses composantes (rôle des étudiants) que dans ses perspectives utopistes marque déjà une rupture avec l’histoire dont il se revendique. La critique du travail est énoncée et pratiquée (alors que c’est une valeur commune à la bourgeoisie et à la classe ouvrière) mais elle cœxiste encore avec son apologie implicite dans la vision d’une classe ouvrière révolutionnaire parce que détenant potentiellement le pouvoir de transformer le monde et de supprimer l’exploitation. Le même phénomène se produit en Italie, sur un rythme différent.

Les années 70 consacrent cette rupture à travers :
– les défaites ouvrières (et plus les luttes ont été fortes plus la défaite est sévère cf. Renault Billancourt et Fiat)
– l’avénement d’une nouvelle modernité ou plus exactement le passage de la modernité au modernisme pouvant être défini par sa recherche du moderne à tout prix, du moderne en tant que fin en soi
– la crise des années 70 qui ne peut se réduire à une crise économique mais qui est néanmoins aussi une crise économique.

De cette rupture se dégage, entre autres, un glissement de la prédominance du secteur productif vers celle du secteur reproductif. Par secteur reproductif nous entendons le secteur chargé de faciliter les transformations du monde qui se produisent à partir du secteur productif et surtout qui est chargé d’assurer la pérennité du système de domination. Si à l’origine (seconde moitié du xixe siècle), ce secteur est réduit (fonctionnaires de l’administration d’État, secteur de l’éducation), l’installation puis le développement du modèle salarial urbain vont l’hypertrophier progressivement. L’intégration de la classe ouvrière dans la société et l’extension du salariat à toute la société entraînent la nécessité d’une organisation de la protection sociale sur les bases de ce travail salarié. Parallèlement, l’organisation de la vie sociale sur la base de la séparation lieu de travail-lieu d’habitat a pour conséquence la mise en place d’un gigantesque système de communication (le milieu urbain remplace la ville).

Dans sa phase actuelle, le secteur reproductif assure ou rétablit les liens que l’organisation productive détruit ou menace. On fait des routes, on multiplie des réseaux autour des villes afin de permettre aux individus d’aller travailler… sans se soucier de savoir s’il y aura encore du travail au terminus. C’est bien ça la domination du reproductif : on le multiplie pour assurer le maintien d’un ordre productif et social qui se délite. La reproduction devient plus importante que la production, même si c’est toujours à partir du secteur productif que le système d’ensemble cherche encore sa dynamique. L’ensemble des services publics et assimilés (municipaux, etc.), une grande partie du secteur public, le système associatif sous toutes ses formes (assurances, organisations de consommateurs), les secteurs de l’information et de la communication constituent ce secteur reproductif. Il est au cœur du système car il assure son entretien (l’exemple de la protection sociale) et est un enjeu pour les groupes dirigeants qui élaborent les stratégies de dominations (découpage et contrôle de l’espace). Ce secteur souvent nommé social par opposition au secteur productif qui relèverait de l’économique, dévoile ainsi sa nature politique au sein du système de reproduction capitaliste.

Automne 1995 : le mouvement de luttes le plus important depuis 1968. Est-il une simple répétition des mouvements du passé ? Non, car ce ne sont plus les producteurs qui sont au cœur de l’action même s’il y a encore, parmi les grévistes, de nombreux travailleurs manuels. Ce sont les salariés des secteurs de la reproduction qui se posent en derniers représentants de la communauté du travail et des formes de solidarité et de reproduction des individus qui y sont liées. Les fameux « acquis sociaux » ne sont pas seulement, à travers la défense de la sécurité sociale, ressentis comme des acquis concrets (la protection), ils sont aussi intériorisés et réinvestis comme valeur collective vivante produit d’une histoire et de luttes1.

La sécurité sociale et les systèmes de retraite sont des institutions liées au salariat et financées par l’ensemble de la communauté-travail (charges patronales + cotisations salariales) et ce qui est en jeu dans les réformes actuelles, c’est le changement global des anciens systèmes de solidarité, dans une société qui va produire de moins en moins de salariés, de moins en moins de travail. La cogestion et le paritarisme entre les syndicats patronaux et ouvriers est remis en cause par l’État qui explore de nouvelles voies afin de sauvegarder la société du capital.

Cet enjeu est bien mis en évidence par l’opposition syndicale fo/cfdt La cgt-fo est en effet la représentante de l’ancienne option (« La sécu, elle est à nous », sous-entendu nous les salariés, scandaient les militants fo2) alors que la cfdt, malgré des vagues est la représentante de la 2ème option (« Pour une couverture universelle, une sécu pour tous ») sans pour cela être assimilable à la position pure et simple du gouvernement d’où un écartèlement constant entre une position hors du mouvement et un pied dedans. Elle ne peut en effet aller au bout de sa démarche car cela la conduirait à son propre sabordement en tant que syndicat de salariés ; soit par l’entrée de Notat au gouvernement, soit en passant du constat de la crise du travail et du salariat à la critique du travail lui-même et de l’idéologie qui lui correspond. Restant à mi-chemin, elle est tout logiquement accusée de trahison (le « plan Juppé-Notat » dit fo), trahison qu’elle cherche à cacher en changeant de terrain par ses propositions sur le partage du travail3.

Si cet enjeu a fait l’objet d’une forte médiatisation (l’État avait intérêt à jouer la division syndicale ; certains journaux comme Le Monde et surtout Libération soutenaient la position Notat), il n’a pas semblé avoir une grosse influence sur les luttes concrètes à la base. Dans un premier temps cela a été un avantage (« l’unité dans l’action ») ; dans un deuxième, cela a constitué un obstacle (aucune perspective autre que le retrait du plan). Le mouvement se sait divisé, ce qui le gêne pour aller de l’avant ; Il se sait aussi minoritaire dans l’action. La « grève par procuration » a certes une réalité mais cet aspect minoritaire dans l’action correspond surtout à trois situations : un rapport de force peu favorable dans le secteur privé ; des travailleurs du secteur public concurrentiel moins concernés (ils ne sont guère touchés par le passage aux 40 ans et n’ont pas de référence directe au service public) et qui ne participeront qu’à la marge, en soutien (« temps forts », débrayages) ; enfin, des rapports sociaux qui ne poussent guère les individus à se transformer, tout d’un coup, en sujets agissants (même dans les services publics, la grève n’a pas toujours été massive).

À part la sécurité sociale et les systèmes de retraite, l’autre axe de lutte a porté sur la défense des services publics. Le concept de service public nous vient de Léon Duguit (1859-1928) qui y voyait la justification de l’existence de l’État. La notion de service public n’est pas liée à la société civile bourgeoise mais à la société des classes qui, à travers les luttes de classes, produit la transformation du monde : développement des infrastructures nécessaires au capitalisme (chemins de fer, postes), développement des médiations nécessaires à la reproduction des rapports sociaux capitalistes (instruction obligatoire souvent comprise comme école obligatoire, syndicalisme, droits sociaux complétant les libertés individuelles).

Aujourd’hui, l’attachement au service public dépasse largement la réalité effective des services rendus ; c’est un attachement à la notion même. En tant que référence, elle représente une alternative symbolique à la puissance magique des lois du marché. Le mouvement est populaire parce que, au delà de la question de l’État, la référence au service public représente une des dernières valeurs collectives d’une société qui ne produit plus que des individus.

Caractère des luttes

Dans ce mouvement on a comme un condensé de toute l’histoire politico-sociale des 50 dernières années.

On observe tout d’abord un reclassement syndical. Les syndicats ne sont plus des courroies de transmission politique (fo > ps ; cgt > pcf) et leur représentativité, reconnue tacitement par le mouvement de cet automne, provient plus de la mise hors-jeu des partis politiques que de leur implantation réelle sur les lieux de travail.

Ensuite on a des modifications des figures de lutte. Le salarié du secteur public, présenté traditionnellement comme un cas à part, représente maintenant la dernière figure du salarié fordiste type « Trente Glorieuses » (contrat de travail, droits et statuts garantis), produit de l’intégration de la classe du travail dans la société du capital. Il n’en a pas fallu plus pour que les médias proclament aussitôt qu’on avait affaire à un mouvement de classes moyennes. Il y a évidemment ici une position politique qui s’exprime : opposer une mythique classe ouvrière (qu’ils n’ont jamais vraiment reconnue, d’ailleurs), qui resterait au travail et subirait la gêne de la grève, à un mouvement gréviste composé essentiellement de nantis ; opposer ceux qui n’ont pas de travail (sous-entendu les vrais prolétaires) et ceux dont le privilège serait d’en avoir un. Mais cette analyse ne correspond pas qu’à un positionnement tactique de division ; elle est aussi incompréhension des transformations à l’œuvre dans la société du capital. Elle confond une position sociale intermédiaire avec un rôle social au centre parce qu’au cœur du système de reproduction de cette société du capital.

À l’opposé de ce discours sur les classes moyennes mais tout aussi erroné, est le discours sur le retour du prolétariat sur la scène sociale. Le mouvement a une dimension hors classe qui justement fait son unité quelles que soient ses composantes précises ; mais cela ne veut pas dire qu’il est indépendant des différentes origines de classe et de ses composantes : ainsi les cheminots sont à l’avant-garde de la lutte et constituent l’image nostalgique de la classe ouvrière dans le mouvement, l’image nostalgique du métier à une époque où on ne parle plus que de professionnalité et de performance ; à un autre bout les enseignants font ce qu’ils peuvent et même des choses qu’ils n’ont encore jamais faites mais on remarque que les instituteurs sont plus actifs que les professeurs du secondaire qui eux-mêmes sont plus actifs que les professeurs du supérieur ; quant aux étudiants, s’ils sont actifs sur les campus et dans les premières manifestations, ils laisseront ensuite échapper une certaine gêne vis-à-vis de l’emprise croissante de l’organisation cgt (et de ses « gros bras ») sur le déroulement des manifestations de la dernière semaine.

L’unité qui transparaît dans le mouvement n’est pas portée par la défense d’intérêts immédiats. Ceux-ci existent et ne sont pas négligés mais ils ne sont pas non plus mis en avant pour ne pas faire écran à l’ensemble du mouvement. C’est très net de la part des cheminots qui ont pourtant à répondre à une attaque précise de la sncf contre leur statut spécial.

L’unité repose sur un refus massif de ce qui se met en place et ce qui se met en place est symbolisé par le plan Juppé. C’est pour cela que celui-ci n’est pas détaillé. Il est refusé en bloc comme s’inscrivant dans une stratégie d’ensemble qui tente d’imposer l’ordre de l’économique aux rapports sociaux. Dans la réalité, cet ordre de l’économique n’est pas imposé pour des raisons principalement économiques, comme on voudrait nous le faire croire (la faute à Maastricht !, la globalisation des marchés, etc.) mais pour des raisons d’ordre stratégiques (« le nouvel ordre mondial ») qui échappent même à l’appellation de « politiques » telles qu’on les concevait à l’époque des politiques nationales des États-nations. Le plan Juppé est donc refusé comme mettant en péril la reproduction mêmes des rapports sociaux. En première analyse on peut donc dire que ces rapports sociaux ne sont pas critiqués en tant que tels. Ce qui est immédiat dans le refus c’est la question de leur reproduction qui transparaît sous la forme interrogative : « Quel avenir pour nous et nos enfants ? » Des lycéens-étudiants aux retraités il y a unité là-dessus et le mouvement traverse toutes les générations.

Cette solidarité qu’exprime le mouvement dépasse d’ailleurs son cadre et s’étend à nombre de non-grévistes. Tous les efforts pour opposer grévistes et usagers seront vains car contrairement à certaines situations antérieures de grève catégorielle dans les transports en commun, le sens des luttes est clair : refus de ce qui se met en place et espoir de ce qui pourrait être une vie en commun. Alors chacun se débrouille, grévistes comme usagers, grévistes en tant qu’usagers.

Nous avons déjà dégagé le reclassement syndical, les modifications des figures de lutte, abordons maintenant les changements de pratiques. Les derniers grands conflits (surtout en 1986) avaient vu apparaître des « coordinations » qui avaient joué un grand rôle au moins pendant la durée des conflits. Elles semblaient permettre une meilleure unité à la base face aux divisions syndicales (exemple des cheminots en 86) ; elles semblaient plus adaptées à la situation de secteurs à influence syndicale faible (infirmier(e)s et étudiants en 86) et enfin elles semblaient plus propices à l’auto-organisation des luttes, pratique reposant sur le principe des assemblées générales souveraines.

Or, dans le mouvement de cet automne, les coordinations sont absentes (hormis une fantomatique coordination nationale étudiante) et pourtant les pratiques d’unité à la base et d’assemblées générales votant la grève reconductible se sont répandues dans tout le secteur public. Comment expliquer cela ? En fait, il nous faut revenir au repositionnement syndical. Les syndicats ont encore une représentativité malgré la faiblesse de leurs effectifs mais elle est plus symbolique que réelle ; elle est reconnue tacitement disions-nous parce que ce sont les seules forces à occuper encore le terrain depuis la fin du militantisme politique. Il s’agit donc pour eux de renforcer une certaine légitimité en essayant d’anticiper les mouvements de la base, de les impulser le cas échéant et en tout cas de coller au terrain. C’est comme cela d’ailleurs qu’ils empêcheront toute marge de manœuvre pour l’éclosion d’une quelconque coordination.

Alors qu’ils entendent garder la maîtrise stratégique de la situation (ils n’appelleront pas, par exemple, à la grève générale… mais à la généralisation de la grève), ils font mine d’abandonner la gestion de la grève aux différentes assemblées générales de grévistes. Celles-ci sont ensuite invitées à raconter leur histoire particulière dans des intersyndicales ouvertes à tous… mais sans vocation décisionnelle.

Sauf peut-être dans les grands dépôts de cheminots où la coordination s’est faite par l’occupation des locaux et l’utilisation du matériel informatique de la sncf, il a fallu faire tout ce travail de coordination et d’information en dehors des organisations syndicales et d’une coordination officielle.

Le mouvement étant sans cesse renvoyé à sa base, sa dimension politique est noyée dans sa dimension démocratique, sa force d’action s’en trouve entravée. Par là-même il se crée un décalage entre la force potentielle des grévistes et l’absence de débouché sur lequel puisse venir s’enraciner cette force… et croître. Le mouvement reste désespérément plat. Il ne croît que par capillarité, il ne s’étend que quantitativement et géographiquement. Concrètement ce décalage n’est « dépassé », de façon répétitive et compulsive que par la pratique des « temps forts » et des grandes manifestations.

Or ces « temps forts » indiquent premièrement qu’il y a décalage au sens où nous l’avons défini (hiatus force-croissance) ; deuxièmement que dans ces moments le mouvement perd de son autonomie au profit de négociateurs patentés que les grèves relégitimisent à bon compte ; troisièmement qu’ils ne constituent que des moyens de pression pour ces mêmes négociateurs ; quatrièmement, que sans changement qualitatif, le mouvement est « dans le mur » comme cela apparaîtra bien au soir de la plus grande démonstration de rue (le mardi 12 Décembre)… quand rendez-vous est pris par les syndicats pour une autre manifestation le samedi 16 Décembre, manifestation censée être encore plus importante avec le renfort des familles et des « touristes » du privé.

Comme on le sait maintenant il n’en fut rien et des mouvements de reprise du travail se manifestèrent même avant le 16, y compris parmi les grévistes les plus précoces et combatifs.

Cependant, parallèlement aux « temps forts », les « temps faibles » furent souvent bien occupés par des rencontres de quartiers ou sur les lieux de travail, entre différentes catégories de grévistes. Ces réunions ou rencontres étaient porteuses d’autre chose : elles ont permis des actions plus localisées et ponctuelles, plus « sauvages » ; elles auraient pu permettre une organisation à la base des possibilités de la grève générale, l’amorce d’une discussion de fond (interprofessionnelle + usagers) sur les services publics et l’État. Mais ces pratiques ont été prises de cours par la reprise. Le mouvement était trop dépendant de la réussite des grèves (poursuite et extension, y compris au privé) pour pouvoir vraiment développer autre chose. Il n’y a malheureusement eu que des amorces.

Sens et limites

Ce qui est certain, c’est qu’en ayant le retrait du plan Juppé comme revendication principale et l’unité d’action comme principe, le mouvement s’est fixé des bornes. Il ne pose pas publiquement et explicitement la question d’une alternative. En cela, c’est un mouvement auto-limité. Aucun mythe révolutionnaire n’est agité et quand il est fait référence à la grève générale c’est l’exigence tactique de passer à un stade supérieur de la lutte qui se manifeste et non l’idée anarcho-syndicaliste de la grève insurrectionnelle. Aucune référence non plus à l’autogestion. À part quelques actions sur les tarifs de la part des électriciens, les salariés des transports en commun ne se risquent à aucune action en direction du public. La lutte est séparée de la question du fonctionnement du service public ; en conséquence le service public est bien toujours conçu dans le cadre d’une « gestion rationnelle ».

D’une certaine façon, on peut dire que le mouvement est d’autant plus fort qu’il ne fait pas sauter le consensus (d’où son succès dans les sondages). Il manifeste plutôt une opposition entre ce qui serait le consensus des élites : la logique internationale du « tout économique » appuyée politiquement sur la « pensée unique » et une sorte de consensus populaire autour de l’idée qu’il y aurait là une mauvaise volonté de la part des dirigeants, qu’il y aurait encore une marge de manœuvre pour que le pouvoir assure l’ancienne reproduction reposant sur la régulation fordiste et l’État-Providence… avec le risque de se contenter d’un retour à l’avant plan Juppé. C’est alors oublier que cette reproduction est déjà devenue problématique pour toute une partie de la population (poches de pauvreté, quartiers dévastés, chômage de longue durée en augmentation, etc.). Si le mouvement ne fait pas voler en éclat le consensus, il le questionne et se questionne lui-même à travers la critique de la domination de l’économique, les références à un « vrai service public », la critique des inégalités croissantes et du désordre produit par la liberté des marchés. Sans en avoir le projet clair, le mouvement n’en dégage pas moins l’idée d’une société dans laquelle le social serait déterminant et non plus l’économique qui devra être, suivant le mot célèbre de Karl Polanyi, « réencastré » dans la société. Il y a une ambiguïté dans cette revendication du social contre l’économique et elle sera mise à profit, dans les médias, par la présence soudaine et quotidienne des sociologues chargés d’expliquer le pourquoi du comment, à la place des traditionnels porteurs de la pensée dominante que sont les économistes. il faut reconnaître que cette ambiguïté n’a pas été levée même si le cri du cœur du « tous ensemble » indiquait bien un dépassement possible, non pas une revendication de plus de social mais une exigence de vie en commun.

Le mouvement portait aussi implicitement l’exigence du stade politique. La poursuite de la lutte des cheminots une fois leur victoire catégorielle acquise avait ce sens. Ce conflit signe la faillite des forces politiques de gauche et d’extrême gauche : la gauche n’a pas voulu répéter l’erreur de Mitterrand et de Mendès-France en 1968 ; l’extrême gauche s’est fondue dans le social4. Il manifeste aussi la faiblesse de l’État national face aux exigences de l’Ordre mondial (dont Maastricht ne représente qu’un volet) et le risque que cet État se retourne contre sa propre société afin de sauver son crédit international au détriment de son crédit national : c’est tout le sens des luttes actuelles entre les différentes fractions qui se partagent ou convoitent le pouvoir (quelle marge d’autonomie nationale est possible ? est souhaitable ?) ; c’est aussi le sens du raidissement apparent du gouvernement Juppé. Au delà d’une maladresse possible et contingente il y a l’aboiement du roquet aux abois : il n’y a pas à négocier avec les grévistes car il n’y aurait rien à négocier (pas de « grain à moudre » comme disent les syndicats) ; il n’y aurait qu’à expliquer les nécessités (on a eu droit à un gouvernement utilisant la presse écrite pour faire sa propre publicité !).

Cet État national se révèle incapable d’assurer sa « mission de service public », comme il est d’ailleurs de moins en moins capable d’assurer sa fonction de direction. Il sombre dans la gestion et plus particulièrement une gestion à courte vue (diminution des faux frais et des avantages acquis par les salariés) et se trouve incapable de proposer une « vraie réforme ». Il ne manque toutefois pas de conseillers du Prince pour proposer un renforcement de l’État à l’occasion de la crise. D’un côté, Paul Thibaut, Olivier Mongin et la revue Esprit regrettent cette faiblesse et souhaitent la mise en place d’une solidarité par le haut, une voie « républicaine et solidariste », un mixte de vichysme et de gaullisme qui présidait déjà à la naissance de la revue ; d’un autre côté, et plus classiquement, Bourdieu fait l’apologie de ce que devrait être un vrai État républicain et démocratique. Il ne s’agit bien sûr pas de faire un amalgame entre les deux positions car la première est contre le mouvement, alors que la seconde s’exprime en soutien, dans la tradition des interventions des intellectuels engagés dont Bourdieu fournit peut-être le dernier prototype. Mais le point commun de ces deux prises de position est de ne pas voir que dans la référence à la notion de service public, dans la défense du service public s’affirme la critique d’un État qui n’assure(ra) plus ce rôle et affleure la critique de l’État, de tous les États puisque d’ailleurs tous tendent vers la même chose (pensée unique, marché unique, monnaie unique, un unique ordre mondial).

Comme en 1968, le mouvement, tout en étant gros d’une dimension éthique-politique ne se dote d’aucune arme politique, ne pose pas la question du pouvoir mais montre l’indigence du pouvoir et de tous les pouvoirs (quel gréviste a pu être dupe de l’attitude de Blondel ?, de la soi-disant absence de langue de bois des dirigeants syndicaux). Le roi est nu… mais il est encore Roi ! En effet, participant à et intégrant la coupure social/politique propre à la société du capital, les individus se retranchent derrière une neutralité ou une indifférence à « la chose politique ». On en a eu un exemple avec le plan Vigipirate qui n’a fait l’objet d’aucune protestation d’envergure alors même qu’il semblait plus gêner qu’il ne rassurait, qu’il semblait aussi choquer par son aspect discriminatoire et ses interventions « au faciès ». Et quand ils agissent dans ce qui leur apparaît comme leur domaine, « le social » les mêmes individus s’illusionnent sur leur force avec l’impression de représenter tout le social et par extension toute la société. À l’inverse des commerçants ou des agriculteurs qui n’hésitent pas à « tout casser » pour se faire entendre et faire pression alors qu’ils représentent une force marginale, le mouvement de grève ne s’est pas posé le problème du niveau adéquat de violence de son action. Il suppose plus ou moins consciemment que le pouvoir politique devrait plier devant lui, par le seul fait qu’il fait la démonstration de sa volonté. Il manque une expression politique qui bien sûr ne peut être assuré par les partis ou groupuscules qui tous prospèrent ou fonctionnent sur la même coupure social/politique.

Perspectives

Le consensus ne peut pas se rompre en posant abstraitement la question de la politique, du pouvoir et a fortiori de la révolution. Il faut simplement énoncer qu’à terme plus rien ne sera comme avant, ce que tente aussi, à sa façon, l’État et ce dont sont bien conscients les acteurs du mouvement quand tout le monde prédit que cela va recommencer d’une façon ou d’une autre. Mais il y a aussi nécessité que ce soit nous qui décidions de ce qui va se passer, nécessité si ce n’est de prendre l’initiative (la situation n’est pas si favorable), du moins de prévoir les réponses possibles.

Il faut repartir des trois caractéristiques principales du mouvement : la grève, l’exigence de solidarité, la référence au service public.

1° Quand les grèves touchaient surtout le secteur privé ou le secteur public concurrentiel, elles étaient surtout anti-productives et elles bloquaient l’activité économique mais n’atteignaient que rarement le fonctionnement d’ensemble de la société (exception faite du mouvement de Mai-Juin 68). Sauf dans le cadre de grèves générales donc, les grèves partaient du particulier (l’usine, la conscience ouvrière, le syndicat) pour remonter au général (le Parti, la conscience de classe, la société) sauf que justement, en temps normal cela ne remontait pas et que toute l’organisation syndicalo-politique de la gauche se faisait à partir de cette coupure considérée comme une donnée incontournable (cf. la théorie de la courroie de transmission). Les travailleurs pouvaient mener des luttes très dures dans leur coin, être bien conscients de l’exploitation mais la nécessité « d’exproprier les expropriateurs », de poser autre chose, n’apparaissait pas de leur ressort.

Aujourd’hui, avec l’importance prise par le secteur reproductif, la dégradation du rapport de forces dans le secteur privé, les grèves sont surtout anti-reproductives. Elles bloquent le fonctionnement d’ensemble de la société du capital (elles « prennent en otage » les usagers, les pme).

Elles produisent un choc par le dérèglement de la reproduction habituelle qui en temps normal semble aller de soi et revêt même un aspect magique. Elles dévoilent, derrière la rationalité qui définit l’organisation et la gestion de la complexité de la société moderne, l’irrationalité d’un système (la société du capital). À cet égard, la sncf fournit un bon exemple. Quand elle fonctionne (avec son extraordinaire réseau de trains de banlieues), on ne s’aperçoit de rien car elle sert de soupape de sécurité en irriguant les canaux de l’absurde migration entre les lieux d’habitation et les lieux de travail ; mais quand elle s’arrête c’est toute l’organisation de l’urbain qui s’écroule. Il faut alors avoir recours au fétiche de la liberté de circuler : l’automobile, mais peine perdue il n’y a pas de solution de remplacement. Et les médias d’entonner, dans une sorte de clameurs de fin du monde : « Paris est bouché, Paris est bouché ! » Et Chirac de redécouvrir l’existence du vélo… Au royaume de la pensée unique, on nie la grève pour faire de la « gêne » qu’elle occasionne, le véritable évènement.

Dans son acte même, pourtant, la grève déborde les grévistes particuliers et transforme, momentanément, le monde. Les individus, grévistes ou non sont obligés de se poser la question du fonctionnement de ce monde, la question des rapports sociaux, la possibilité d’autres rapports sociaux (de la même façon que Chirac découvre l’existence du vélo, les sociologues découvrent que l’homme n’a pas besoin que de pain, mais aussi de convivialité cf. l’article d’Edgar Morin dans le journal Le Monde).

La grève, produite par le mouvement, comme moyen de lutte, produit elle-même, à son tour, un mouvement de déconstruction de l’existant. Ce mouvement de déconstruction n’est pas seulement négatif car de nouveaux rapports, échanges se produisent, se nouent et se dénouent et même s’ils restent limités, ils indiquent des possibles et ils renvoient à une question métaphysique, la question politique classique de savoir s’il faut commencer par changer l’ordre social pour changer ensuite les rapports sociaux ou bien l’inverse.

2° Le mot de solidarité a été beaucoup utilisé. Le problème c’est qu’il l’a été aussi bien au sein du mouvement qu’à l’extérieur (de la part de l’État, des médias). Il faut donc préciser. Au sein du mouvement l’exigence de solidarité était inséparable de celle de lutte contre les inégalités. C’est justement ce lien qui faisait l’universalisme (modéré !) du mouvement : la solidarité ne reposera pas sur la conjonction des corporatismes bien compris (conception de Durkheim), ni sur l’exigence abstraite de la cohésion sociale (ce thème est propre à la démarche étatiste), mais sur une exigence concrète d’égalité bien symbolisée par la lutte exemplaire des traminots de Marseille, contre la multiplication des statuts discriminants.

La notion de solidarité, au sein du mouvement, est aussi reliée à celle de service public comme garant de l’égalité (alors que l’idéologie « solidariste » repose sur un État fort qui organise la solidarité sur le respect des hiérarchies « naturelles » aussi bien que sociales), comme structure d’une possible vie en commun dans une société qui ne produit que des individus isolés.

C’est peut-être aussi ce désir diffus de vie en commun qui a unit les individus au-delà de leurs socialisations particulières, dans des ébauches de relations singulières. L’idée de solidarité, peut donc s’avérer complémentaire de l’idée de communauté. Ce sont les solidarités concrètes qui doivent fonder cette communauté des hommes :

– en comblant le hiatus entre individus isolés et désir de communauté.

– en permettant à l’exigence de communauté (la tension vers…) d’être autre chose qu’une simple incantation ou formule.

– en lui donnant un contenu universaliste qui la distingue des anciennes formes communautaires à fondements ethnique, religieux ou culturel, qui lui évite les dangers d’un repli identitaire (cf. l’ambiguïté de la formule gouverne-mentale sur le service public « à la française »).

La notion de solidarité a certes un passé (comme toutes les notions abstraites qui sont utilisées dans le cadre des luttes concrètes), qui vaut ce qu’il vaut mais il a pris sens actuel dans le mouvement de cet automne 95 et l’une des premières « tâches politiques » de la nouvelle année, c’est de partir de ces mots qui ont fait sens et non de mots qui n’ont de sens que pour ceux qui « réfléchissent le mouvement ».

Il faut donc dégager les conditions et les raisons qui ont fait que cette exigence de solidarité est restée quelque peu abstraite, a eu du mal à intégrer les insatisfactions et révoltes des individus extérieurs au secteur public et à plus forte raison extérieurs au monde du travail. Il faut aussi savoir pourquoi la question du travail, de l’intégration, de l’exclusion, de l’exclusion n’ont été abordées que de façon assez convenue, à cette occasion.

3° De la même façon qu’il a fallu préciser la référence à la solidarité, il faut maintenant préciser la référence au service public.

– la référence au service public est d’abord liée à une histoire comme nous l’avons signalé dans notre première partie. Mais aujourd’hui c’est la principale référence collective des salariés, la référence à la communauté ouvrière ne fonctionnant plus que comme nostalgie (cf. le succès ambigu du film Germinal). En outre, il ne peut exister de communauté de salariés (ou de classe universelle de salariés) à cause des disparités de revenus et de statuts qui traversent l’ensemble-salariés et du fait que dans le capitalisme actuel le salariat n’est plus un système qui a pour but et effet de transformer le monde, mais bien plutôt de le reproduire et de le discipliner. Le salariat en tant qu’il est devenu essentiellement un système d’imposition au travail plus qu’un système de production de travail ne peut plus produire une communauté à partir de ses bases, à partir du travail.

Les travailleurs des services publics sont d’autant plus sensibles à la référence collective au service public, que nombre d’entre eux sont issus de l’ancienne communauté ouvrière et sont le produit de la mobilité sociale ascendante. Ils y ont souvent transposé les valeurs ouvrières en les adaptant (le service public comme symbole de l’égalité et du primat du collectif).

– Il faut dégager la référence au service public de la simple défense du service public. La première est grosse d’autre chose, la seconde ne permet qu’une position défensive, nous met à la remorque des décisions de l’État. Concrètement les deux attitudes sont liées mais elles peuvent être contradictoires5 et la contradiction ne peut être levée que par une « collectivisation » des problèmes et des enjeux, une prise à bras le corps du service public par tous les individus concernés.

Cela a bien sûr plus de chances de se produire pendant le mouvement ou immédiatement dans son prolongement, que dans une phase de reflux. Quand on dit que cela va sûrement se reproduire, c’est aussi à ça qu’il faut penser pour qu’on n’ait pas la répétition du même.

– Il faut donc dégager la notion de service public de tout sens de propriété. Ce sont dans les rencontres interprofessionnelles, grévistes et autres que peut être dépassée l’idée que chacun est comme propriétaire du service public où il travaille, propriétaire du service public dont il est usager car il paie, etc. Les manifestants de la sncf, de la ratp (ou autres), de rvi ne peuvent vraiment défiler ensemble que s’ils se posent la question d’ensemble, celle des transports, des infrastructures, de l’environnement, etc. Rajouter simplement leurs mécontentements c’est ce que les syndicats appellent renforcer l’unité. C’est confondre unité et juxtaposition des forces.

En poursuivant la grève, après leur victoire sur les retraites, les cheminots ont montré la voie mais sur un point précis seulement. Il faut, toujours sur la question de la propriété, distinguer service public et secteur public. Il existe un secteur public concurrentiel qui est à dix mille lieues du service public. Son extension en 1981-82 a clairement montré qu’on ne change pas la société en ne changeant que la propriété. – Enfin, à l’intérieur du service public, il faut distinguer les salariés qui fonctionnent sur le modèle contractuel (aussi bien avec leur employeur, l’État qu’avec l’usager, le public), des salariés qui fonctionnent sur le modèle du serviteur (armée, police) ou qui assurent les autres fonctions régaliennes de l’État. Ces derniers sont liés à la domination et à sa perpétuation en tant que structure de pouvoir. Ces secteurs ne peuvent faire l’objet d’une quelconque réappropriation dans le cadre d’une lutte pour de nouveaux rapports sociaux. La nécessité (interne mais surtout externe) de leur démantèlement doit progressivement se faire jour.

Remarques sur le mouvement étudiant

Les étudiants sont entrés dans la danse les premiers et ont ainsi peut-être joué le rôle de déclencheur. En effet, en l’état actuel du rapport de forces et du niveau de lutte, un mouvement d’ensemble peut difficilement se manifester spontanément. Depuis 1986, on peut noter que les mouvements qui touchent différents secteurs de la reproduction, sont comme en correspondance : certains entraînent les autres par leur exemplarité, d’autres créent une brèche dans laquelle s’engouffrent nouveaux secteurs et revendications.

Dans le consensus mou de la pacification sociale, il s’agit toujours et avant tout de trouver le bon prétexte qui permet de passer à l’action. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de bonnes raisons pour agir, mais elles ne suffisent pas. Ainsi, ce n’est pas parce que le plan Juppé est maladroit et présenté autoritairement qu’il est contesté et refusé (les conflits ne seraient dus qu’à des problèmes de communication, jamais à des raisons politiques, à des antagonismes), mais c’est parce qu’il est maladroit et autoritaire que le mouvement peut se développer comme expression de « tout ce que les gens ont sur le cœur ». La séparation dirigeants-dirigés est la conséquence d’un système de domination et elle n’est résorbable ni par une meilleure communication (vision des médias), ni par une meilleure compréhension du rapport pouvoir démocratique-citoyens (vision des intellectuels anti-populistes à la Finkielkraut). Ainsi, si on en revient au mouvement étudiant, la grève de Rouen a servi de détonateur aux autres universités. Des « problèmes », il y en a à chaque rentrée universitaire, mais ce qui manque (par exemple à l’automne 1994), c’est l’opportunité, la mesure étatique ou l’absence de mesure qui vient cristalliser la contestation. Les étudiants eux aussi ont fonctionné sur le principe de la grève reconductible par assemblée générale mais ils ont buté très vite sur deux obstacles : les projets Bayrou sont vagues et la situation des facultés est assez dissemblable : les syndicats étudiants ne pouvaient donc que présenter des revendications unificatrices… dérisoires pour les fac. les plus déshéritées et décalées et peu mobilisatrices pour les autres. De même, à l’inverse du mouvement anti-cip du printemps 1994 , la jonction avec le mouvement lycéen ne s’est pas vraiment produite faute de revendications ou motivations plus larges ou plus profondes. Incapable de dépasser ces obstacles, le mouvement s’est beaucoup enferré dans des questions de représentation et de représentativité : les étudiants des universités de province les plus en pointe dans la lutte, ne se reconnaissent pas dans une coordination nationale dominée par les parisiens alors que le mouvement dans la capitale est faible ; les non-syndiqués ne se retrouvent pas davantage dans les deux principaux syndicats étudiants, très minoritaires et aux divergences peu évidentes ; enfin, les lycéens ne se reconnaissent pas non plus dans un mouvement étudiant qui ne leur offre que la projection de ce qu’ils deviendront plus tard, renvoyant aux calendes grecques la critique de l’université en tant que telle. Concrètement, cela s’exprimait, dans les lycées mais aussi dans certaines facultés, sous forme de question : faudra-t-il tous les ans faire un mois de grève pour demander seulement quelques milliards de plus ?

Il s’agissait d’autant plus d’être « vraiment représenté » qu’il n’y a plus guère aujourd’hui de représentation du monde. Ce qui est déjà vrai pour tous l’est encore plus pour des étudiants qui manquent de références historiques et qui n’ont pas encore d’histoire personnelle (l’histoire familiale elle-même est de plus en plus restreinte car il n’y a plus grand chose à transmettre qui soit appropriable en tant que partie de l’universel).

Bien sûr, la représentation est problématique dans la mesure où dans la crise actuelle de la politique il y a une défiance vis-à-vis de toutes les représentations mais cette défiance s’efface devant la facilité d’accès aux médias, la facilité à obtenir si ce n’est de vraies négociations mais au moins des rendez-vous ou des résonances médiatiques. L’accès à la coordination nationale devient un but en soi (nombre croissant de candidats à l’élection à la coordination), pendant que les étudiants « radicaux » organisent des actions en dehors des facs ou désertent simplement la fac. Beaucoup d’étudiants sont conscients qu’on ne peut changer le système éducatif sans changer le reste de la société mais ils oublient que la critique du système peut s’exercer à partir de n’importe quel secteur et donc aussi à partir de l’Université.

En oubliant cela, alors qu’il était parti le premier, le mouvement étudiant n’a pu jouer un rôle important par la suite en restant bloqué sur des revendications quantitatives qui l’ont ensuite amené à se mettre à la remorque du mouvement d’ensemble et à chercher, vainement pour le moment, son second souffle.

Notes

1 - Et la cgt, direz-vous ? Si nous n'en parlons pas ici, c'est parce que du point de vue stratégique elle n'a pas de position sur la question et Viannet d'ailleurs n'a jamais rien eu d'autre à dire que : « retrait du plan Juppé ». La cgt compensera son absence de positionnement stratégique par un habile positionnement tactique dans les luttes.

2 - À l'occasion d'ailleurs, on n'hésitera pas à tordre le cou à cette histoire pour la rendre cohérente avec l'imaginaire. On gommera ainsi le fait que les premières formes d'assurance publique (1930) furent rejetées par le pcf et la cgt comme étant de nature à : « détourner les ouvriers de l'action révolutionnaire… [et à] les enchaîner au char de la rationalisation capitaliste » (déclaration du porte-parole pcf Ch. Beaugrand au Palais Bourbon le 23/4/1930, cité par Le Monde du 16/11/95).

3 - Il est à noter que si la démocratie règne dans les assemblées générales, si les votes y vont bon train, les décisions importantes et centrales ne font pas l'objet des mêmes attentions et précautions. Les directions syndicales imposent les dates et les parcours de manifestations. Celles-ci n'auront jamais d'autre but que de joindre une place à une autre comme on doit le faire pour le traditionnel 1er Mai. De la même façon la force du nombre va être réduite à sa dimension médiatique (le « Juppethon » de la cgt) et le centre des villes ne sera jamais occupé. On organise la dispersion des premiers arrivés avant même que les derniers ne soient partis. La crainte d'affrontements sérieux avec la police et les forces déployées pour « Vigipirate » est patente.

4 - Cf. un tract du groupe Makhno de la Fédération anarchiste (St Etienne) dans lequel il est écrit : « La crise est sociale, sa solution doit être sociale » et dans lequel il est proposé de faire redémarrer l'économie en autogestion. Ce qui est alors négligé, c'est la question de l'État et du niveau politique ; est négligé aussi le fait que le secteur de la reproduction ne peut redémarrer comme celui de la production. Pendant les grèves « l'économie »ne s'est pas arrêtée. Il ne s'agit donc pas de la remettre en route ! ce que la grève dans les services publics pose comme question et comme perspective, c'est celle de la direction et du contrôle du fonctionnement d'ensemble et des finalités du système de reproduction. vaste programme qui ne connaît pas de recettes.

5 - Chaque « usager », même fonctionnaire par ailleurs, connaît des situations où face à l'absurde des réglementations du service public, il trouve un préposé du service public qui défendra mordicus la rationalité de sa structure et finalement en croyant sauvegarder l'image du service public, justifie les décisions hiérarchiques et actuellement les mesures anti service public.