Quatrième de couverture du numéro 1

, par Temps critiques

NOUS

Le rapport social capitaliste tend à occuper tout l’espace-temps des êtres humains. Son apparent triomphe (marché mondial unique, unification des formes de gestion de la force de travail, unification des formes politiques dans la démocratie autoritaire), masque son nihilisme qui transparaît pourtant dans son utopie, laquelle constitue aussi sa limite : réaliser une communauté humaine où les hommes ne seraient plus que des automates.

Au rythme actuel de son développement, il n’y aura bientôt plus ni référent négatif à faire valoir (le prétendu communisme est mort) ni ennemi à combattre (la dissolution de la classe antagoniste, du sujet traditionnel de la révolution, lui laisse le champ libre). Son utopie semble près de se réaliser : être seul face à lui-même, dans sa pureté.

C’est cette réalité et ce nihilisme du capital qui poussent les individus vers une quête identitaire et une volonté de retrouver les anciens enracinements, les vieilles appartenances qui semblaient oubliées, dépassées. Si ce sens identitaire indique bien une faiblesse du sens de révolte, de lutte (l’individu est atomisé), il n’en constitue pas moins une résistance à une domination plus complète du capital.

Les individus atomisés ne sont pas encore réduits à des particules de capital, même si leur résistance, pour trouver appui et représentations, prend souvent la forme d’une réactivation des vieilles déterminations communautaires, religieuses, nationales. Cela ne les amène bien sûr pas immédiatement, ni automatiquement à la conscience et à la vérité de leurs déterminations. Le choix des contenus de l’identité reste largement fonction des situations individuelles dans l’aliénation, mais en l’absence de tout projet d’un autre rapport social, cela continue néanmoins à indiquer la voie d’autres possibles.

Comme dans les périodes 1917-1933, comme à la fin des années soixante, c’est la question du rapport individu/communauté qui se repose. A priori, nos « chances » de la résoudre positivement apparaissent moins fortes qu’à ces époques. Mais cette impression n’est-elle pas aussi liée au fait que toutes les fausses solutions ont été épuisées ?

Pour ne pas en rester à cette impression, il s’agit de promouvoir tout ce qui n’est pas adéquat à la réalité, et, par exemple, dans le cadre modeste de cette revue, de développer une information réflexive qui tente de dépasser les replis nationaux, régionaux, individuels et « domestiques », et qui cherche à surmonter la particularisation des activités humaines.

Cette revue ne doit pas être de pure théorie, mais plutôt un état des lieux de l’activité critique ; que celle-ci se mène en France ou à l’étranger. Elle sera donc largement ouverte à et vers toutes celles et tous ceux qui refusent ce que la représentation dominante et consensuelle cherche à faire accroire : que la communauté du capital serait un advenu.

Il ne s’agira pas, bien sûr, d’accepter n’importe quelle contribution, mais il faut enregistrer comme définitif, et finalement positif, le fait qu’il n’y ait plus d’unification possible a priori de la théorie critique, car il n’y a plus de classe qui porterait l’unification future de la société.

Dans un premier temps, textes, articles, tracts, « impressions », pourront se juxtaposer, dans l’attente de clarifications et de reprises en compte, par d’autres, du projet initial. Dans un premier temps aussi, la revue ne sera éditée qu’en langue française.