Quatrième de couverture du numéro 19

, par Temps critiques

La tendance actuelle du capital à privilégier la capitalisation (ses formes liquides et financières) plutôt que l’accumulation (de nouvelles forces productives et immobilisations), s’appuie sur une organisation dans laquelle les flux de production et d’information, de finance et de personnes, dépendent des jeux de puissance au sein de réseaux interconnectés, mais malgré tout hiérarchisés. L’État a perdu l’autonomie relative qui était la sienne dans la société de classes à l’époque des États-nations. Il ne peut plus être perçu comme la superstructure politique d’une infrastructure capitaliste comme le concevait le marxisme. Son passage progressif à une forme réseau à travers laquelle il est présent, actif et englobant, tend à agréger État et capital. L’État n’est plus en surplomb de la société, puisqu’il a recours à différentes formes d’intermédiation qui tendent à transformer ses propres institutions en de multiples dispositifs spécifiques de remédiation. Il en résulte que la forme de domination qu’il exerce n’est plus extérieure aux individus, mais basée sur l’internisation/subjectivisation des normes et des modèles dominants. Parmi ces modèles, celui de la technique joue un rôle central dans la transformation des forces productives et des rapports sociaux. Ce modèle technique, induit par le développement capitaliste, est aujourd’hui indissociable de choix politiques qui se présentent comme une nécessité. Il finit par s’imposer comme une seconde nature. Nous critiquons toutefois l’hypothèse d’un « système » technique autonome ou « macro-système », même si ce dernier terme peut avoir une valeur heuristique, à condition de ne pas lui accorder des qualités d’autonomie dont il est dépourvu.

Il en est de même de la notion de « système » capitaliste : le capital ne tend vers l’unité qu’à travers des processus de division et de fragmentation qui restent porteurs de contradictions et réservent des possibilités de crises et de luttes futures. C’est bien pour cela qu’il y a encore « société » mais il s’agit en l’occurrence, d’une « société capitalisée ».

L’hypothèse d’une « crise finale » du capitalisme qui posséderait une forte dynamique le poussant à « creuser sa propre tombe » a été démentie par les faits, même si sa dynamique actuelle repose sur le risque et donc suppose la possibilité et l’existence de crises. En effet, le capital n’a pas de forme consacrée, comme le laisseraient supposer ses différentes formes historique, commerciale et financière d’abord, industrielle ensuite. Cette dernière phase a pu constituer un facteur de stabilisation, remis en cause désormais par l’unité de ces formes, ce que nous avons nommé la révolution du capital. Aujourd’hui tout n’est pas que question de profit. Les jeux de puissance des dirigeants, des actionnaires et des créatifs concourent à une innovation permanente et nécessaire à la dynamique d’ensemble. Mais si ce processus fait encore société c’est parce que les individus s’approprient cette puissance à travers la consommation des objets techniques. Le capital n’a pas engendré une domestication totale car il se fait milieu, valeurs, culture, provoquant une adhésion contradictoire d’individus qui participent ainsi à des modes de vie de la société capitalisée.

Nous assistons à ce mouvement au cours duquel la société capitalisée s’émancipe de ses contraintes parce que nous-mêmes avons pour le moment échoué à révolutionner ce monde. Alors, quels types de luttes et quelle articulation des luttes sociales sauraient, face aux articulations de la puissance redonner sens à ce mot de révolution, à savoir celui de révolution à titre humain ?