Temps critiques #10
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Retour sur le mouvement de grève des jeunes médecins du printemps 1997

, par Yves-Michel Dusanter

La grève des jeunes médecins, internes, chefs de clinique et externes du printemps 97, contre le plan Juppé, aura reçu un accueil très réservé dans nombre de milieux traditionnellement à l'écoute des mouvements sociaux. Un accueil lié à l'ancienne identification entre le médecin et le notable, mais aussi lié à l'expression encore visible d'un certain corporatisme comme au souci de leur part de leur futur exercice libéral. Pourtant, ce mouvement jeune et neuf recélait de nombreuses ressources et ses contradictions internes laissaient penser à tort que désir d'autonomie et repli sur soi se confondaient, alors que l'absence de culture politique et un refus obstiné de toute récupération étaient à l'origine de ce paradoxe, associant au sein du conflit, une tendance corporatiste, certes, mais aussi une tendance ouverte à la mobilisation des usagers comme des autres catégories de soignants. Les assemblées générales pratiquant la démocratie directe auront été houleuses et le lieu d'enjeux et d e questionnements importants pour l'avenir et riches en significations. Il est heureux de constater que certains aient vu dans ce mouvement autre chose qu'une simple défense catégorielle et y aient décelé des éléments illustrant un refus de brader la santé pour tous comme une résistance à la technostructure dominante dont la mission est de se substituer à la médecine pour organiser le triage, sur des critères économiques, entre ceux qui doivent être soignés et ceux pour lequel c'est, du point de vue de la rentabilité, devenu inutile.

La force de travail des individus étant devenue inessentielle, car interchangeable et nombreuse, l'ancienne mission de la médecine de « réparer le travailleur » afin qu'il soit réutilisé pour l'exploitation économique devenait obsolète à tel point qu'un maintien de la médecine telle qu'elle est, reste un obstacle à l'avancée du capitalisme. Pourtant, les jeunes médecins ont montré avec obstination que leur vocation était de soigner tout le monde (tout un chacun), que leurs patients soient ou non utiles au processus économique en cours. Cette défense obstinée du droit de vivre dans la dignité, confère actuellement à la médecine une richesse humaine la mettant en contradiction et en opposition avec les objectifs dominants. C'est pour cela qu'elle doit être réduite et elle même dominée. Tout cela dans un contexte ou le niveau des revenus des médecins est corrélé à la bonne santé des caisses de Sécurité Sociale (et à leur générosité) et donc au fait que les individus, même pauvres, soient couverts socialement.

D'autres mouvements de personnels soignants, comme les infirmiers en psychiatrie ont tenté de rejoindre ce mouvement et ont reçu un accueil différent selon les jeunes médecins qu'ils rencontraient. Les infirmiers en psychiatrie, luttent encore actuellement contre le retrait autoritaire de leur spécificité. Et il est important de comprendre que cette spécificité dérobée va plus loin qu'une simple modification de statut car elle correspond à l'évacuation complète, et de la reconnaissance et de l'enseignement fait aux infirmiers, de ce qui restait (et avait été conquis en psychiatrie) de préoccupations sanitaires centrées autour de l'autonomie du sujet, du respect de sa singularité et de ses relations inter-subjectives. Comme quoi, d'une façon différente, nous sommes ici dans la même problématique d'asservissement du sujet rejoignant ce qu'ont refusé obstinément les jeunes médecins.

L'exaltation officielle de l'individu dans nos sociétés, n'est que la mise à nu — dans la souffrance — du MOI, et toutes les défenses et protections immunitaires qui permettaient à ce MOI d'advenir dans la subjectivité et la singularité, sont aujourd'hui mises à rude épreuve. À tel point que le repli sur soi dans la dépression ou l'autisme n'a comme seule thérapeutique que la consommation à outrance de la marchandise, qu'il s'agisse de psychotropes ou de jeux vidéos (etc.). La rigidification des défenses comme la préoccupation immunologique ultra spécialisée dans une vision non globale de la personne humaine est le dernier recours défensif et actuel pour protéger ce MOI régressif et fragilisé par sa mise à nu. L'avènement de la singularité ne pouvant s'opérer que dans une socialisation permettant à ce MOI d'advenir en JE. Et le JE, se conjugue au singulier comme au pluriel : Je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles… Je ne sais s'il s'agit de la création d'un homme nouveau, (le clone ?), pour le moment il s'agit d'une formidable régression, fragilisant les individus au point d'en faire des êtres sans défense face à l'appétit sans limite des dominants.

Pour ce qui est du mouvement des jeunes médecins en grève, il leur a été reproché d'avoir été absents, dans leur masse, du mouvement de décembre 95, contre le plan Juppé. Il me semble judicieux de retourner le compliment : pourquoi les composantes de décembre 95, n'ont pas rejoint le mouvement des jeunes médecins ? Ce n'est pas la première fois qu'une grève de médecine se retrouve dans le temps en décalage avec l'irruption d'un mouvement général. Ceci est dû, il est vrai, à une absence de culture politique, mais aussi à des statuts différents, qui dès la fac isolent les étudiants en médecine des autres étudiants (Il n'y a pas de deug, de Licence, de Maitrise, mais un pcem 1, un concours, un pcem 2 etc. sur trois cycles dont l'un est salarié ! Il y a un concours au début, mais moins de mauvaises surprises sélectives à la fin comme dans le reste du milieu étudiant.), mais aussi par un enseignement contraignant et dénué de toute ouverture aux questions économiques, sociales et à un moindre degré éthiques… Depuis 83, toutes les grèves auxquelles j'ai pu participer — surtout en fac de médecine — se sont, au delà de divergences profondes à l'intérieur de ces mouvements, traduites par des aspirations égalitaires. Il y régnait, dans les assemblées générales, une démocratie directe authentique et si la majorité du mouvement restait sur des bases corporatistes, il y a toujours eu (et le dernier mouvement, n'a pas échappé à la règle) une minorité non négligeable de grévistes revendiquant une ouverture aux autres personnels des hôpitaux, une défense de la Sécurité Sociale (mais pas forcément de la gestion des caisses) et évidemment une ouverture aux usagers de la santé. Il est vrai que le souci de santé publique reste minoritaire, mais il existe. Ces grèves ont toujours été anti-sélectives, en ce qui concerne l'accès à la connaissance pour les étudiants.

Est-il utile de rappeler, que la fac de médecine ne fut, jadis, qu'un lieu de renouvellement du personnel mandarin, et qu'il fut un temps où l'accès aux connaissances se faisait au mérite. Autrement dit, la fac n'assurait pas de formation aux futurs généralistes, qui étaient méprisés et devaient, sans avoir fait aucun stage clinique à responsabilité (ou si peu), se former sur le tas avec leurs premiers « clients » (cobayes ?). Les luttes contre le mandarinat et pour une formation de qualité pour tous changèrent les choses. (1968 et années 70). Même en 1983, où la grève des externes tant décriée par la gauche et ayant duré 3 mois se battait pour un principe égalitaire en matière de formation. Celle-ci avait d'ailleurs été lancée par les trotskystes du pci, alors très bien implantés dans les facs de médecine — à leur manière comme on peut le deviner — mais récupérée politiquement par le rpr (on était sous la gauche !). Durant cette grève, il y eut un refus massif de s'associer aux étudiants en droit qui s'agitaient sous la tutelle du gud (extrême droite), par corporatisme, par apolitisme, mais aussi par un sentiment particulier en médecine, un certain humanisme antifasciste et libertaire diffus (eh oui !).

Les facs de droit et leurs animateurs fascistes, firent leur « mai 68 » à l'envers, dans les rues avec barricades, affrontements contre les crs et stratégie « insurrectionnelle » mais sans les carabins. Un an après, Le Pen commençait à grimper sérieusement électoralement. Les facs « de gauche », après une ou deux manifs, elles, s'écrasèrent. Il ne fallait pas emmerder les « grands frères » au gouvernement ?

En médecine, c'est cette aspiration libertaire diffuse qui en 83, mis en place un projet concret d'autogestion des facs de médecine sur la base d'un souci de santé publique et d'une volonté d'en finir avec les mandarins (pendant que cette grève passait aux yeux des médias comme une grève de droite !). Évidemment, malgré une massive participation à ce projet, le gouvernement ne donna pas suite — imaginez que tout le monde en fasse autant…

En 1987, une nouvelle grève durable et appliquant encore une exemplaire démocratie directe, éclata en médecine contre un projet Barzach (déjà passé) de sous-qualifier les futurs généralistes. Cette grève déclenchée 3 mois après décembre 86 (ah les carabins, toujours un métro de retard !), prit des tournants très sociaux et ouverts, mais fut récupérée par la gauche électorale remontante et qui concrètement au pouvoir en 88 n'abolit bien sûr pas la loi Barzach (promesses, promesses…). Tout cela pour dire qu'au-delà d'un corporatisme, qui ne fait pas l'unanimité d'ailleurs, les revendications en milieu médical chez les étudiants (externes et internes), ont toujours été sur le fond progressistes.

Au printemps 96, ce furent les externes (étudiants hospitaliers) qui se mirent en grève pour dénoncer l'exploitation quant aux tarifs de leurs gardes (dans lesquelles ils font un boulot effectif intégré au fonctionnement des centres universitaires, payé (selon) de 75 FF à 300 FF, pour 24 heures de travail !) Historiquement, c'était la première fois que des étudiants hospitaliers (externes) se mettaient à revendiquer d'un point de vue salarial. Ça ne s'était jamais vu.

En ce qui concerne la grève du printemps 1997 il faut souligner tout de même qu'un certain corporatisme formel et culturel reste encore majoritaire. D'un côté, des internes, externes et chefs de clinique traditionnellement peu ouverts a une culture politique et défendant mordicus un apolitisme dépassé. De l'autre des personnels hospitaliers très syndiqués et conscients des enjeux politiques, mais ne comprenant pas toujours l'inculture politique des jeunes médecins. Il faut dire qu'à l'une des manifestations d'internes, les infirmiers psychiatriques cgt se sont fait purement et simplement éjecter par des grandes gueules, tandis que d'autres internes outrés d'un tel comportement avaient rejoint les infirmiers. En fait, la grande majorité des jeunes médecins, naïfs et conditionnés par des études qui ne leur ont pas laissé beaucoup de temps pour s'intéresser aux dimensions de l'économie et de la politique non politicienne, ne commençaient seulement qu'à s'ouvrir à la vie et, au gré des contradictions traversées par leur mouvement, ont pu découvrir comment ils étaient réellement considérés par les dominants et leurs relais médiatiques (presse écrite, radio, télé).

Une prise de conscience et ce n'est qu'un début… Une nouveauté.

Ainsi, leur obstination a traduit qu'inconsciemment ils rejetaient en bloc toute idée de rationnement des soins et de médecine à deux ou trois vitesses, mais que consciemment et stratégiquement une certaine « gaucherie » toute juvénile démontrait qu'il y avait du chemin à faire pour combattre servilité et naïveté. Enfin des jonctions entre des usagers et d'autres personnels de santé ont été intercorporativement réalisés, et c'est cela qui compte pour l'avenir.

Les jeunes médecins découvrent petit à petit, que leur camp est celui des travailleurs et non pas des notables, et le processus historique, comme cela a été le cas dans d'autres secteurs comme celui des routiers, de repositionnement des lignes de fronts sociaux, continue son chemin et prépare le terrain des clivages « de classe » du futur. D'autre part, s'il est vrai que les médecins du service public (et les internes n'en font pas partie — ils « sont de passage »), ont souvent réagi mollement et de façon très réformarde, ils n'ont pas été absents de la scène revendicative des milieux hospitaliers. Lors de la dernière grève, ils ont soutenu — de façon critique — les revendications des internes, mais aussi des autres catégories de personnel. Leur militantisme de terrain est à revoir.

L'obtention rapide, dès les premiers jours de la grève d'un moratoire de sept ans par les internes, à été critiquée elle aussi à travers la critique de la médecine libérale, c'est à dire du secteur privé. Il faut savoir que le plus grand nombre des internes, s'ils voulaient exercer leur pratique à l'hôpital, n'y trouveraient pas de place. Que sept ans, cela correspond a peu près a la durée des crédits d'installation. Lorsque les internes ont compris, que se contenter d'un moratoire de 7 ans, c'était en fait cautionner la validité du plan Juppé, ils se sont alors radicalisés sur cette question. Ce qui était, là, plutôt un signe de lucidité et ne pas s'enfermer dans un court terme du genre « m'sieur Juppé, vot' plan il est bien, mais nous pour s'installer et démarrer, il faudrait que pendant 7 ans, on nous foute la paix avec ces quotas… » Comment peut-on croire un instant que ces quotas ont été mis en place pour en finir avec certaines pratiques médicales scandaleuses et malhonnêtes d'enrichissement ! Ces pratiques ne sont qu'un prétexte, et le problème est ailleurs dans le « trou de la sécu » et lié à la dette patronale et militaire non payée et surtout aux exonérations patronales avec élévation des taux d'intérêts bancaires !

Le « trou de la sécu » existe-t-il ? N'est-t-il pas le fruit d'une savante modification des modalités de calcul transformant un simple manque à gagner en pertes sèches ? L'armée française a-t-elle payé sa dette de 90 milliards (depuis 1945) à la sécu ? Les exonérations patronales ne sont-elles pas passées de 12,2 milliards de francs en 1992 à 64,3 milliards en 1996, c'est-à-dire de 168 milliards en 5 ans ! La sécu, par conséquent n'a-t-elle pas dû payer sur trois ans 30 milliards de francs à titre d'intérêts aux banques ? Et les 91,6 milliards de dettes patronales antérieures, sont-elles remboursées à cette sécu exsangue ?

Par conséquent en quoi la mise en place de la Contribution Sociale Généralisée (csg) par la gauche puis du rds pour tous à 0,5% sur ordonnance par la droite (plan Juppé), ne sont-elles pas la traduction de l'évolution vers une « fiscalisation » de cette sécu ? Qui paye et que dépense finalement… ceux qui dans leur infinie sagesse, les sages ont désignés comme devant payer pour ne pas heurter quelques « intérêts supérieurs » ? Ceci n'est-t-il pas la traduction d'une volonté politique et économique de faire passer la priorité du vivant à la trappe au profit d'orientations plus inertes ?

Dans ces conditions la « réforme de la santé » décidée par ORDONNANCE et publiée au Journal Officiel le 24 Avril 1996, qui prévoit en 5 ans la mise en chantier d'une superstructure d'encadrement de maîtrise et de rationnement des soins tant dans le service public que dans le privé ne provoque-t-elle pas leur éclatement et donc la concurrence de tous contre tous, gérés par le bon vouloir d'experts gagnés et « intéressés » à la cause de cette ordonnance ?

À propos de la « défense de l'exercice libéral de la médecine » il faut souligner qu'il ne s'agit pas nécessairement de la défense de la médecine libérale (privée) contre une médecine publique, voire le libéralisme tout court… Il s'agit ici de prendre le mouvement où il se situe. La grande majorité des internes n'envisage plus de faire carrière au sein de l'hôpital public qui a beaucoup perdu de son « prestige ». D'abord parce que la lourdeur administrative, carrément bureaucratique, donne plutôt envie de choisir des modes d'exercice plus souples. Ensuite, parce qu'il existe des spécialités où la possibilité, en terme d'avenir à l'hôpital, est bouchée. Bien qu'il y ait en France, 1800 postes de praticien hospitalier vacants, qui risquent d'ailleurs d'être gelés, les « emmerdements » liés aux mesures bureaucratiques et la réduction des possibilités d'actions rebutent même ceux qui voulaient ne pas placer de « questions d'argent » dans leur exercice médical quotidien.

Et c'est là, le grand paradoxe, si les internes en sont à « défendre leur futur exercice libéral », c'est bien parce que les conditions de démembrement de l'hôpital public les ont dissuadés d'y faire carrière et ce démembrement, ils en sont les témoins. Dans leur grande majorité, « le libéral » est un dernier recours qu'ils entendent défendre bec et ongles, ils prennent à peine conscience que c'est en fait tout le système de santé qui est menacé.

Il ne s'agit pas ici d'une défense de « la médecine libérale » comme entité, c'est-à-dire fondée sur une concurrence plus ou moins déontologique, contre l'ogre public et étatique. C'est plus subtil que cela. C'est une préoccupation s'enracinant dans le constat d'un rationnement des soins ordonné à haut niveau, qui leur fait craindre des jours sombres y compris dans le seul mode d'exercice existant dans notre actuelle société, en dehors de la médecine salariée, c'est à dire « l'exercice libéral de la médecine ». Le terme libéral est ambigu, car il ne correspond pas, même si certain le défendent ainsi, à la promotion d'une économie de la santé fondée sur le libéralisme, mais à un mode d'exercice indépendant, relevant du statut des artisans et des travailleurs indépendants non salariés, respectant d'ailleurs le libre choix des patients. En fait, les travailleurs ne sont pas tous salariés, mais tous sont soumis selon les statuts à des pressions de plus en plus lourdes de la part des dominants.

Mieux vaudrait ici parler de médecine indépendante ou artisanale. D'autre part ce mode « libéral » de la médecine, a pu ici et là, engendrer des pratiques innovantes, solidaires et associatives, des formes d'exercices multidisciplinaires organisées souplement et qui restent très intéressantes, et qui dans la mesure où la couverture sociale marchait pour tout le monde, peuvent être assimilables à du « service public de novo ». Et finalement créditer l'idée de quotas mis en place à cause des médecins qui abusent, c'est créditer l'idée dominante relayée par les médias, que le « trou de la sécu » vient de là ! Bref, c'est cautionner, sinon le plan, mais le discours de Juppé, des patrons, du consensus en général ! Caution misérabiliste et réformiste au possible !

Les futurs médecins, aspirent-ils a bien gagner leur vie et à profiter des avantages de la société de consommation ? Sans doute, mais ils sont loin d'être les seuls dans ce cas. Je dirais même, qu'ils sont à l'image de la société toute entière. Sauf que là, comme d'autres, ils ont lutté, avec leur inculture politique, semblant débarquer d'une autre planète, agaçants, crispants, obstinés, bornés, majoritairement corporatistes, mais jeunes et neufs dans une lutte qui a, péniblement et au prix d'efforts de rapprochements de quelques uns, évolué vers un peu plus de conscience de santé publique, vers un peu plus de critique, vers un peu plus (surtout vers la fin) de solidarité intercorporative et d'ouverture aux questions de fonds. Petit à petit, ils prendront conscience que leur sort est lié au niveau de vie de toute la population. Ils ont déjà pris conscience qu'ils étaient, par le consensus politicien, les dominants, la technostructure et leurs relais médiatiques de droite comme de gauche, considérés comme de la merde. Petit à petit, la prise de conscience de la réalité s'opère en eux. Ils ont clairement dénoncé la médecine à 2 et même 3 vitesses car pour eux une médecine de qualité doit aussi prendre soin des pauvres.

Les clivages « de classe » du futur ne seront pas tout à fait les mêmes que par le passé. Déjà, des gens sans traditions syndicales ou politiques, prennent conscience de leur condition réelle, des menaces qui planent et dont les signes annonciateurs ne manquent pas. Ces mouvements sont surprenants, paradoxaux, déconcertants, mais ils débordent de vie.

C'est de ces mouvements et de ceux qui auront compris le sens de cette re-génération que naîtra, avec tous les savoir-faire sociaux le clivage « de classe » contre la domination. Le clivage de classe n'est pas la « fracture sociale ». La fracture sociale ne fait que séparer les « inclus » des « exclus ». Le clivage de classe se reconstruit sur la base d'un dépassement solidaire de cette « fracture sociale »1 contre ceux qui aliènent et exploitent.

L'ordonnance du 24/4/96 fixera autoritairement les conditions d'exercice, dans un contexte de pénurie organisée par une technostructure (et ses collabos) au service de la domination financière et économique. Bien sûr qu'il faut défendre le service public de qualité pour tous et garantissant le libre choix. Mais ce service public là, il est a réinventer, et il ne naîtra qu'à partir de la conscience partagée de la santé publique et sera une synthèse d'expériences venant aussi bien de l'actuel système privé — débarrassé de ses ambitions de profit, mais enrichi dans ses capacités créatives — que de l'actuel système public — débarrassé de sa pesanteur administrative et donc enrichi d'une vitalité créative.

Une médecine à deux, trois vitesses même est-elle acceptable ? L'éviction dans le silence des médecins étrangers, le gel des postes, la fermeture de lits et d'unités de soins, la suppression pure et simple de la qualité, de la connaissance et de la spécificité infirmière en psychiatrie sont-elles acceptables ? Il n'y a pas, dans cette affaire d'intérêts divergents et les professionnels de la santé qu'ils soient du privé ou du public, s'ils souhaitent vraiment le développement d'un système de santé pluriel dans ses prestations, de qualité et respectant le libre choix des patients et s'adressant à toutes et tous sans distinction d'ethnie, de nationalité ou de fortune, ont les mêmes intérêts. Le service public à défendre et à créer, n'est pas la fonction publique telle qu'elle est. Vous me direz, mais alors quelle différence avec ce que les dominants mettent en place ? Le système nouveau qui se met en place, nous pousse à nous redéfinir dans nos objectifs et même s'il se situe lui-même au delà de l'actuel clivage privé/public, il est le fruit d'une technostructure obtenant la soumission du vivant par la pénurie rationnée et artificielle qu'il organise.

C'est contre cette pénurie là, évidement, que nos intérêts se rejoignent et que nous auront à lutter tous ensemble et non seulement, stratégiquement. La nécessité de se retrouver TOUS ENSEMBLE, professionnels de toutes disciplines du privé et du public, et usagers, se pose pour gagner et faire reculer vraiment les décideurs, mais la réalité économique et politique de haut niveau, doit aussi, si nous voulons de façon intercorporative et sans nous faire manipuler par l'opacité entretenue par ces décideurs, nous faire réfléchir tous ensemble à un futur autre. Sommes-nous dans l'esprit mutualiste qui est à l'origine de la sécurité sociale, capable d'élaborer une solidarité nous permettant de nous soutenir mutuellement dans nos différentes revendications ? Somme-nous capables, dans ce grand mouvement à naître, de nous représenter nous-mêmes ?

Tel, aujourd'hui, est l'enjeu.

Notes

1 – À noter que le concept de « fracture sociale », qui ne remet nullement en cause le capitalisme, a été décrit par Emmanuel Todd, intellectuel qui soutenait Chirac aux dernières présidentielles et dont les thèmes ont alimentés le pseudo discours anti-libéral du rpr. Emmanuel Todd, renie aujourd'hui le chiraquisme et appelle aux dernières législatives à voter pcf. Ce concept de « fracture sociale » est encore bien souvent reproduit sans critique par nombre de militants « d'extrême gauche »…