Mai 1968 et le Mai rampant italien
Deuxième partie : l’Italie : Dix années de subversion (1968-1977)

IX. Une interprétation du mouvement italien

 

Nous reprenons ici quelques points du mouvement italien afin d’en donner un éclairage plus général en le confrontant à la fois au Mai-68 français et à notre époque, c’est-à-dire avec le recul que nous a laissé le temps pour en faire une lecture-bilan.

Le sens de l’auto-organisation

Pour nous, l’autonomie est inséparable d’une situation, à la fois objective et subjective.

Objective d’abord en ce qu’elle nécessite une possibilité d’affirmation du pôle travail face au capital, c’est-à-dire une remise en cause de la subordination ouvrière par rapport au capital et l’idée d’un pouvoir ouvrier établissant soit une dictature du prolétariat soit une gestion ouvrière de l’administration des choses à travers les conseils ouvriers ou l’autogestion. Subjective ensuite en ce qu’elle suppose une critique en acte des formes traditionnelles de représentation du mouvement ouvrier, essentiellement de la forme syndicale qui est un organe de défense de la force de travail en tant que celle-ci est dans un rapport de dépendance réciproque au capital. C’est la première condition, objective, qui donne sens à l’auto-organisation dans ce qu’on pourrait appeler le programme prolétarien.

C’est ce que confirme le développement des luttes italiennes de 1962 à 1975. Son expression a été essentiellement le fait des franges récemment prolétarisées de la jeunesse, d’individus issus du milieu rural du Sud et ce ne sont pas des luttes revendicatives qui s’exprimaient, mais une révolte clamant, Vogliamo tutto, ce qui passait concrètement par des revendications touchant tous les aspects du travail. Une révolte en partie au-delà du strict caractère prolétarien (étudiants, techniciens, employés de la fonction publique). Ainsi, ce qui est revendiqué n’est pas de l’ordre du corporatisme (ce que les syndicats reprochaient aux grèves des transports ou des hôpitaux)), mais d’une critique du travail et de l’identité ouvrière. Elle accorde donc peu d’importance aux valeurs ouvrières et à ses revendications sur la professionalità et la santé (La salute non si paga), points sur lesquels insistait le syndicat unifié de la métallurgie, représentant surtout les ouvriers qualifiés et les techniciens, qui cherchait à monnayer la qualification et la santé des travailleurs. Comme nous l’avons déjà dit, l’accent est mis sur l’insubordination immédiate à la domination plutôt que sur la perspective d’une lutte à long terme contre l’exploitation.

Si la question de l’autonomie de la lutte s’est posée pour la frange de l’autonomie organisée, elle ne s’est pas posée en termes d’auto-organisation. En effet, les revendications les plus radicales prenaient la forme de revendications quantitatives et spécifiques aux OS, mais en faisant sauter tout l’appareil conceptuel de l’idéologie ouvrière du travail. Par les revendications égalitaires sur le salaire, c’est tout le cadre hiérarchique qui était remis en cause. Par les cortèges ouvriers, c’est le rapport entre avant-garde active et masse passive qui était bousculé. Par le Vogliamo tutto et le « nous avons tous les mêmes besoins » c’est le « à chacun selon son travail » du marxisme qui est mis à mal dans un combat frontal et sans médiation syndicale qui est énoncé.

L’échec ou la réussite du mouvement n’est donc pas une question d’organisation, mais de cadre de lutte. Le mouvement en était certes à se poser la question de sa composition de classe dans des termes nouveaux, mais à l’intérieur d’une perspective classiste ancienne, celle du combat classe contre classe (ce qu’exprime la dureté des confrontations entre les OS d’un côté, les employés et le petit encadrement de l’autre). Cette tendance se heurtait à la réalité dominante de la dépendance réciproque entre travail et capital tant que le rapport social n’est pas renversé. Les cortèges défilant dans les ateliers et les sabotages n’étaient pas un début de communisation mais le signe d’une faiblesse du mouvement face à l’ensemble de la classe, loin d’être prête à la révolution, car la frange qualifiée de la classe s’était constitué une « réserve sur la base du compromis fordiste et de l’État social. C’est cette frange qui s’avéra particulièrement rétive aux nouvelles formes de lutte « ne faisant pas partie de la tradition ouvrière825 ». C’est sur cette frange que le PCI s’est appuyé, après 1974, pour isoler puis liquider les prolétaires les plus radicaux en acceptant de sauver Fiat et la compétitivité de l’industrie italienne.

Alors que l’identité ouvrière habite encore la classe ouvrière du Nord et se renforce au travers de l’idéologie résistancialiste de son extrême gauche826, cette identité est refusée par cette frange composée de déracinés et de prolétaires lumpenisés en provenance du Sud. Pour eux, il n’y avait donc rien à libérer si ce n’est une gigantesque créativité hors travail qui apparaîtra dans le mouvement de 77, mais qu’on trouve déjà à l’œuvre dans le mouvement de 68 en France.

Cette caractéristique de la composition de classe explique la coupure qui se produira plus tard (à partir de 74-75) avec la frange organisée de la classe, celle qui lutte pour l’unité syndicale (les Comités syndicaux unitaires d’usine comme réponse au « nous sommes tous des délégués » des CUB) et l’hégémonie ouvrière dans un bloc progressiste gramscien qu’il ne faut surtout pas effrayer.

Ce moment a été le dernier moment de l’autonomie ouvrière avant que la domination du travail mort sur le travail vivant atteigne un tel degré, dans les restructurations qui vont suivre, qu’elle rende impossible toute autonomie des luttes. La défaite a été consommée et ce ne seront plus des luttes pour l’autonomie qui vont se dérouler, mais des luttes pour le maintien d’un rapportcapital/travail médié par le salariat. Les luttes contre les fermetures d’usine et les licenciements, contre l’inessentia­lisation de la force de travail. Elles pourront être violentes, sauvages ou désespérées, elles ne se poseront plus la question de l’autonomie ni celle de l’auto-organisation. Ce dernier point ne se maintiendra que dans le secteur public parce que par définition, l’enjeu et la marge de manœuvre ne peuvent être les mêmes quand la crise du rapport social porte la contradiction de la production de richesse à la reproduction du rapport social.

L’ancien et le nouveau

Le fait de détacher les pratiques des prolétaires semi-paysans du sud de l’Italie du reste de la classe ne signifie pas qu’on nie le cadre programmatique de l’affirmation du travail qui est encore globalement l’espace dans lequel s’inscrit le mouvement, dans sa généralité. Nous tenons seulement à marquer le caractère double du mouvement de cette époque, dans l’analyse de Mai-68 comme dans celle du Mai rampant. Nous disons bien caractère double et non pas rapport contradictoire. En effet, le caractère double n’inclut pas de résolution, à l’avance, d’une détermination automatique dans un sens ou dans un autre. C’est l’événement qui prime, alors que dans la dialectique transformée en idéologie de la contradiction insoluble (car elle est interne), l’événement historique est nié au profit du processus qui rationalise l’advenu de l’événement.

Il n’y a pas non plus de contradiction entre le fait de dévoiler le nouveau (les franges récemment prolétarisées) et l’ancien (le souvenir des luttes du Sud non strictement classistes). Le fait qu’il existe encore des bases arrière représentées par les forteresses ouvrières et les quartiers ouvriers marque certes la différence avec aujourd’hui, mais à l’époque cela n’empêchait pas ces luttes du Sud (Battipaglia, Reggio) d’être considérées par le PCI comme des luttes de sous-prolétaires sans conscience de classe ou des luttes fascistes (comme le dira dans une de ses chansons, une artiste aussi chaudement de gauche que Giovanna Marini).

Dans Nous voulons tout, Balestrini montre la dualité du nouveau prolétaire. Contrairement à celui de la ville, il n’était pas sans ressources et certains devinrent propriétaires en ville (p. 11). À l’ingénieur qui lui propose un nouveau travail alors qu’il vient de se faire licencier, l’ouvrier répond : « Non, vous ne m’avez pas compris, je ne veux plus travailler. Je ne veux rien faire. Alors je suis allé prendre le pognon le mois d’après et comme ça l’histoire de l’Idéal Standard a été terminée. Je suis resté au chômage un certain temps, mais je me suis acheté des chaussures élégantes, un imperméable et des vêtements. En 15 jours, j’ai dépensé tout mon argent » (p. 21). De la même façon, un peu plus loin le jeune ouvrier raconte comment, venu l’été, il cherche à se faire licencier pour revenir se baigner chez lui, dans le Sud. Ce n’est pas l’autonomie ouvrière qui s’exprime là, c’est le refus de tout le rapport social capitaliste. Où est le programme prolétarien là-dedans ? Où est l’auto-valorisation prolétaire de Negri ?

On ne peut repérer, en Italie, une tendance à l’occupation des usines comme en 1936 en France et en mai-juin 1968 où les occupations furent davantage une récupération syndicale qu’une forme de lutte, sauf quand cela s’accompagnait de séquestration de patrons ou de cadres. Ce point apparaît visiblement dans le manque d’implication de beaucoup d’ouvriers qui s’en tiennent à la grève passive une fois le coup de force du départ effectué et réussi. L’usine n’est plus le lieu de la communauté ouvrière, mais tout juste celui de la communauté de lutte. Il n’y a rien à affirmer à partir de cette base, sinon un dépassement que les prolétaires ne peuvent produire à partir d’eux-mêmes. On a aussi cette situation au cours des luttes de chômeurs du Sud. Ces luttes ne peuvent produire de dépassement sur leur propre base, mais elles sont le signe d’une irreproductibilité de la force de travail et plus généralement des rapports sociaux actuels. Elles attendent leur événement extérieur qui n’est pas la crise capitaliste inéluctable, mais qui n’est pas non plus la simple révolte à partir de leur situation spécifique.

Assurément, la situation de cette époque était mûre. Le fait qu’il y ait eu double nature du mouvement, opposition par exemple entre OS et jeunes d’un côté, ouvriers-employés et techniciens de l’autre constituait certes un obstacle mais permettait aussi une dynamique. Que l’État et les syndicats aient joué des contradictions du mouvement n’empêche pas que la lutte a pu atteindre une grande intensité. Le fait qu’elle n’ait pas été totalement en phase avec les mouvements dans les autres pays, du point de vue de la temporalité, ne la condamne pas et encore moins un matérialisme vulgaire qui voudrait lui imposer je ne sais quelle pureté de situation révolutionnaire comme prémisse à une quelconque émancipation ou communisation.

La lutte ouvrière, au sens strict, est effectivement condamnée à la revendication et au programmatisme, car la classe ne peut s’abolir à partir de sa propre position de classe. Nous reconnaissons par là que la théorie de l’auto-négation de la classe (défendue à l’époque par la revue Négation) n’est pas tenable. Les luttes des OS, particulièrement en Italie, ne promouvaient aucune réforme possible du travail à la chaîne. Comme nous l’avons déjà indiqué dans les articles sur les classes du no 6-7 de Temps critiques, les classes ne sont révolutionnaires que lorsqu’elles expriment une combinaison interclassiste faite de références communautaires variées (communauté paysanne, communauté du travail, urbanité). C’est pour cela que nous disons que les franges récemment prolétarisées sont en deçà d’une identité prolétarienne et en même temps déjà au-delà et qu’elles ont joué un rôle au cours de ces années d’insubordination.

Sur le mouvement de 1977

On peut dire qu’il commence là où le mouvement français finit, par le rejet du PCI et de la CGIL, c’est-à-dire par une crise de la représentation de la classe ouvrière. C’est cette difficulté à maintenir sa légitimité, qui va amener ces deux organisations à faire de l’autonomie ouvrière son ennemi principal. L’opération de Lama à l’Université de Rome devait permettre une vaste récupération des différents éléments déçus par la faillite électoraliste des ex-groupes extra-parlementaires et qui auraient pu finalement préférer, pour la prochaine fois, l’original à la copie. Son éviction de la faculté a ruiné ce dessin. Dans cette mesure, nous pouvons dire que le mouvement du printemps 1977 a constitué la plus violente critique de la politique en Europe occidentale depuis Mai-68, mais comme en France, cette critique qui a traîné la politique traditionnelle dans la boue, s’est révélée être un immédiatisme spontanéiste sans perspective. Comme en mai 1968, le fait que cette critique ait été portée par un folklore particulier, indique une limite importante de la critique. La dérision indiquait l’absence de dépassement sur cette base. Mais notre critique de l’immédiatisme, ce dernier pouvant être assimilé au fait d’une adhésion non réflexive au mouvement tel qu’il va, doit quand même reconnaître que comme en mai 68 en France avec l’influence des thèses de l’IS, en Italie celles de Cesarano et Ludd par exemple et celles ensuite du mouvement de 1977 contenaient l’exigence d’une immédiateté, celle d’une vie autre et non capitalisée. Elle échappa en partie à l’immédiatisme à travers sa proclamation du refus d’une séparation entre vie quotidienne et vie militante.

Malgré cette force qui permet de rejeter les représentations officielles du mouvement ouvrier, les étudiants en révolte et les diverses manifestations de l’Autonomie ouvrière qui ont débordé des usines pour se réapproprier la ville, n’ont mis en cause que la représentation de la classe, mais non la classe elle-même. Cela apparaît dans la motion de l’Assemblée nationale de lutte du 26-27 février 1977 : « L’assemblée affirme le caractère prolétarien du mouvement de lutte qui s’est développé à l’université au cours de ces semaines. Les protagonistes de ces luttes sont les prolétaires au chômage, les sous-salariés, les étudiants, les travailleurs occasionnels, les femmes super exploitées du travail occasionnel et marginal. […]. L’assemblée dénonce l’intervention de Lama à l’université et en souligne le caractère corporatif ; la tentative de division du mouvement prolétarien ; le lien organique avec l’intervention de la police et les lois spéciales de Cossiga ».

Le mouvement se proclame portion du mouvement prolétarien, sa portion précarisée ou en voie de l’être et a donc tendance à voir le PCI et la CGIL comme les représentants de la tendance garantie du prolétariat, ce qui finalement n’est pas très différent de la théorie des deux sociétés développée par le PCI et qui correspond à la dynamique du capital. Il y a là une grosse différence avec le Biennio rosso, pendant lequel le mouvement poussait à l’unité de la classe dans la lutte, avec les syndicats et le PCI et cela même si les objectifs pouvaient être différents. Le PCI poussait à l’hégémonie d’un bloc historique de type gramscien, les groupes gauchistes poussaient au pouvoir ouvrier et de jeunes ouvriers de base poussaient à la fin du salariat et de l’usine. Cela convergeait dans une certaine mesure, à condition que tous y mettent du leur, mais pour quelle perspective commune ?

Jamais n’était posée la question de l’abolition du salariat alors que c’est justement le problème et non pas celui du nombre de p38 apparu dans les manifestations ou ailleurs qui indiquerait plutôt que le prolétariat italien est resté désarmé au double sens marxien des armes de la critique et de la critique des armes.

C’est que dès l’origine, il y a une ambiguïté dans le terme d’« Autonomie ». Les opéraïstes l’entendent uniquement comme autonomie de la classe par rapport au capital, comme mouvement de subjectivisation, ce qui est placer le prolétaire en protagoniste actif du processus. C’est un fait qui apparaît dans tous les mouvements prolétariens de la fin des années soixante-début soixante-dix, mais cela masque le fait que ce procès de transformation est aussi celui du capital, du capital fixe d’abord, mais aussi du capital en tant que rapport social de classes qui inclut la dialectique des luttes de classes dans sa dynamique… tant que ne se produit pas son abolition. Demander alors l’autonomie comme séparation face au capital est une pure abstraction dans la perspective classiste car le prolétariat ne peut exister que si le capital est posé en même temps. L’autonomie n’est donc qu’un concept théorique et l’autonomisation n’a de sens que si elle est posée comme première phase d’un processus de négation du prolétariat, donc aussi de destruction du capital. Mais là nous touchons à un de nos présupposés de l’époque qui nulle part ne s’est manifesté. D’où notre question : le concept de « négation du prolétariat » était-il autre chose, lui aussi, qu’un concept théorique ?

En tout cas, l’échec du projet révolutionnaire de l’époque nous a réinstallés dans une tout autre perspective, celle de la « révolution du capital827 », fort éloignée de la nôtre.

Les groupes politiques opéraïstes comme Potere Operaio se sont vite trouvés dans la contradiction d’être écartelés entre l’ancienne vision opéraïste de l’unité de la classe autour de la figure de l’ouvrier-masse et la nouvelle vision de l’ouvrier social. Mais surtout, du point de vue pratique, comme nous l’avons dit plusieurs fois déjà, cela ne débouchait en fait, sur aucune recomposition de classe, mais plutôt sur une décomposition. D’où la nécessité, pour ces groupes de se concevoir et d’agir comme des avant-gardes avec la fonction de réorganiser la classe. Situation proprement intenable puisque le succès de cette interprétation théorique, chez Negri par exemple, supposait une décomposition toujours croissante avec une quête jamais terminée du nouveau sujet révolutionnaire qu’il finira par noyer, en désespoir de cause, dans le concept indéfini de « Multitude » avec un M majuscule puis de « multitudes » avec un pluriel.

Mais si le sujet révolutionnaire s’échappe toujours ou s’il est de plus en plus multiple, au point qu’il est difficile de le traiter de sujet, même si on prend en compte tout ce qui a été diffus dans le mouvement, alors comment continuer à se concevoir révolutionnaire sans sujet véritable ? Cette question se trouvait redoublée par le fait que se poser en avant-garde nécessite de poser la question de l’organisation comme fondamentale en rapport avec la question de la conscience venant de l’extérieur. Affirmer ce dernier point, c’est comme enfoncer une porte ouverte, car la conscience existe dans les rapports sociaux (elle ne peut donc être extérieure comme le pensait Lénine qui la voyait comme une production idéologique) et il s’agit plutôt de savoir comment elle se manifeste. Or, ce qui importe à la fin des années soixante, au début des années soixante-dix, c’est que le prolétariat se retrouve comme extranéisé, séparé de cette conscience par le procès de valorisation auquel il est assujetti. Nous pensons que ce sont toutes ces difficultés qui ont amené PotOp à se saborder en 1973, puis LC à faire marche arrière dans la période 1973-76. La conscience ne peut se manifester que si la séparation est brisée.

C’est une impasse que le mouvement français n’a pas connue parce que tous les problèmes sont apparus et ont été envisagés dans un temps très court qui a fait que l’apparition d’une avant-garde a été immédiatement critique de l’avant-gardisme828, activité critique contre l’aliénation du militant, etc.

En 1977, la rupture avec le fil historique de la théorie du prolétariat et donc avec la référence prolétarienne, n’est pas encore achevée en Italie. Les « Indiens métropolitains » se réfèrent encore un tant soit peu au prolétariat avec la notion de recomposition de classe ou celle de « jeune prolétariat » comme chez F. Berardi, alors que ce qui est à l’ordre du jour, la dynamique du capital, c’est la dissolution des classes (et pas leur négation !).

On peut dire seulement que cette référence ne leur suffit plus et qu’ils sont obligés d’en trouver d’autres par bricolage idéologique, recours au mimétisme et au collage. Viennent-ils des banlieues-ghettos comme les Romains, qu’ils s’assimilent alors aux Indiens d’Amérique parqués dans les réserves ? Viennent-ils du centre-ville, qu’ils s’abandonnent à de nouveaux codes contre-culturels qui cultivent la différence et la marge à tel point qu’il faut ensuite faire assaut de communication pour recréer l’unité perdue829. L’autonomie des « Indiens métropolitains » ne peut trouver sa place dans l’opéraïsme modernisé. Sa forme est certes radicale au sens vulgaire du terme, mais elle ne prend pas les choses à la racine. Elle ne produit pas une réelle unité entre théorie et pratique parce qu’elle reste dans la contestation plus que dans l’insurrection.

Le mouvement de 1977 a voulu poser un nouvel immédiat. Certes, la référence au vieux mouvement prolétarien dominait, mais il y avait déjà une discontinuité importante qui se manifestait dans les expériences du mouvement américain de 68, dans le mouvement allemand, dans le Mai français et cette discontinuité est réapparue en 1977 en Italie de façon plus manifeste qu’en 1968-1969. Ce nouvel immédiat est une tentative, toujours problématique de se poser en dehors du capital. Ce nouvel immédiat a été fortement critiqué par les penseurs de la réflexivité et de l’anti-immédiatisme que sont Adorno et Bordiga. Ils ont été très critiques (Adorno) vis-à-vis du mouvement ou ils ne l’ont pas reconnu (Bordiga). Comme le dit encore le numéro de la revue Invariance : « Ils n’ont pu qu’individualiser ce qui pour eux manifestait des tares : le concrétisme, l’immédiatisme ou le situationnisme. Bordiga désignait par ce dernier terme, non le courant de l’IS qu’il ignorait, mais le fait de faire dépendre la recherche théorique de la production de certaines situations, ce qui, pour lui, impliquait l’abandon de toute prévision. Adorno et Bordiga ne pouvaient pas comprendre qu’il y avait quelque chose en train de se créer. Pour y parvenir, il eût fallu qu’ils fussent aptes à se rendre compte que tout un cycle historique était révolu. Ainsi, ils faillirent même en pêchant par immédiateté830 ».

Encore sur la question de la violence

Absolument aucune critique sociale, théorique ou, dirais-je « non violente » des théories de la lutte armée n’a été proposée. Seule a été faite une critique étatique du « terrorisme », c’est-à-dire une critique de la violence transgressive du point de vue de la violence normative, du point de vue du monopole étatique de la violence légitime.

Gian Maria Volontè

Cette citation marque peut-être une position un peu excessive quand on vient de lire les positions d’un groupe comme Insurrezione ou celles exprimées par Giorgio Cesarano dans divers écrits. Néanmoins, elle rend compte de l’esprit du temps en Italie831.

S’il nous paraît utile de revenir sur l’Italie des années soixante–soixante-dix et sur le statut de la violence au sein du mouvement, c’est que ce débat n’a absolument pas été mené en dehors de l’Italie, que ce soit au sein de l’ultra-gauche ou au sein du milieu libertaire. Il ne l’a été que par rapport à la GP, la RAF et ad.

Nous devons donc faire pièce à diverses mésinterprétations, surtout à partir des années quatre-vingt-dix, du rapport entre mouvement et lutte armée en Italie qui toutes, tendent à opposer d’un côté, une lutte armée qui a perdu sa base sociale pour devenir terrorisme et de l’autre, la flambée créative du mouvement de 1977. Idée d’abord avancée par Negri, mais sur la base la plus simpliste qui est de faire des activistes de la lutte armée, des individus extérieurs au mouvement, puis reprise par Berardi et la revue A/Traverso sur une base un peu plus fine de la reconnaissance d’un mouvement bipolaire avec d’un côté l’aile créative et de l’autre tous les « violents » mis dans le même sac, qu’ils soient autonomes ou brigadistes. Cette vision a été reproduite et colportée en France ensuite par des fins connaisseurs de l’Italie, comme Serge Quadruppani au cours de différentes interventions sur la question.

Ces positions sont bancales car elles sont souvent contradictoires ; ainsi, dans le texte Do you remember Revolution ?, dont nous avons déjà parlé, P. Virno reconnaît que : « Pour beaucoup, l’équation : lutte armée = lutte politique, apparut comme la seule réponse réaliste à l’étau dans lequel le compromis historique avait enfermé le mouvement. Dans un premier temps, selon un schéma qui s’est répété un nombre incalculable de fois, des groupes militants appartenant au mouvement firent le fameux saut de la violence endémique à la violence armée, concevant toutefois ce choix, et ses lourdes contraintes, comme quelque chose d’articulé avec les luttes, comme la création d’une structure prestataire de services. Mais les formes d’organisation destinées spécifiquement à l’action armée révélaient vite leur inadéquation structurelle aux pratiques du mouvement […]. Dans l’intervalle, les nombreux sigles d’organisations combattantes qui s’étaient formées entre 1977 et 1978 finirent par imiter le modèle, hier encore abhorré des BR, voire à y entrer […]. À Rome, en particulier, vers la fin de 1977, les BR recrutèrent massivement dans les rangs d’un mouvement en pleine crise. L’Autonomie, cette année-là avait touché du doigt toute la gravité de ses propres limites, en opposant au militarisme de l’État un radicalisme répétitif des affrontements de rue qui n’avait permis aucune consolidation du mouvement et en avait effrité le potentiel. L’accentuation de la répression ainsi que les erreurs de l’Autonomie à Rome et dans d’autres villes ouvrirent la voie aux BR832 ».

Dans La révolution et l’État, Paolo Persichetti se livre à une minutieuse étude des actes de violence perpétrés à l’époque, à partir de 1975 et il en ressort que sur plus de la moitié des attentats revendiqués, moins de la moitié provient des BR ou de PL. Nous avions vu précédemment qu’Isabelle Sommier (op. cit.) arrivait aux mêmes conclusions avec pourtant un point de vue politique très différent (militant pour le premier, universitaire pour la seconde).

Le mouvement de 1977 ne fut ni d’un bloc comme le pense Negri, ni bipolaire comme le voit Bifo, il fut multipolaire et les clivages étaient très complexes ; ils traversaient les groupes et les individus.

Dans cette situation italienne, il nous paraît difficile de soutenir une vision démocratique du processus révolutionnaire (en dehors de toute perspective électoraliste bien sûr), qui ne pourrait prendre son essor que s’il devenait majoritaire. Nulle part cela ne s’est passé ainsi, ni dans la Révolution française, ni dans la Révolution russe. Seule la Catalogne libertaire a paru parfois s’approcher d’une telle réalité et encore, l’exemple actuel des indépendantistes catalans qui se croyaient majoritaires, avant que les anti-indépendantistes ne défilent à leur tour, montre la difficulté à raisonner en ces termes. Ce n’est donc pas parce qu’il y avait deux millions d’anarchistes en Catalogne en 1936 qu’ils étaient majoritaires. Ce qui est sûr c’est qu’ils pesaient, mais cela n’a pas empêché certains ministres anarchistes de jouer le jeu du pouvoir au sein du gouvernement républicain.

Il est vrai que chacune de ces révolutions pré-citées a dû ensuite pratiquer la terreur pour résoudre ses problèmes et compenser son manque de légitimité au niveau de l’ensemble du rapport social. Mais est-ce inévitable et est-ce que cela doit amener à fuir l’obstacle ?

Cette question de la majorité, on la retrouve dans la problématique de l’hégémonie ouvrière défendue par le PCI et la CGIL et ce que Sergio Bologna nomme l’opéraïsme institutionnel. Il reposait sur l’identité ouvrière, la plus grande méfiance vis-à-vis du « Tout, tout de suite » des OS menaçant les acquis de la vieille classe ouvrière, exacerbant les tensions et les possibilités de répression, empêchant aussi le lien avec d’autres couches salariées comme celle des employés ou celle des techniciens.

Dans cette vision, le niveau de violence serait inversement proportionnel à l’intensité de la lutte des classes. Cet argument a pour lui le fait que la lutte armée n’a vraiment pris son essor qu’après la défaite à Fiat. C’est vrai, mais c’est aussi parce que comme dans les années 1919-1923 en Allemagne, les prolétaires les plus combatifs ont été les plus réprimés sans que la masse des ouvriers n’intensifie leur lutte non seulement pour les soutenir, mais pour espérer autre chose que des conseils ouvriers sous contrôle social-démocrate. Cela était déjà le dilemme de Max Hölz à l’époque et c’était aussi celui de PotOp dont Scalzone disait qu’il était un petit parti spartakiste ou un petit KAPD implanté cinquante ans après en Italie.

À cette difficulté s’en ajoutait une autre. En effet, le mouvement de prolétarisation amorcée dans les deux décennies précédentes avec les flux de prolétaires en provenance du Sud et en direction du Nord continuait peut-être, mais en dehors d’une intégration automatique au corps de la classe ouvrière. Les grandes usines du Nord n’embauchent plus. Il se produit comme un dédoublement entre classe ouvrière et prolétariat renforcé par un mouvement de refus du travail qui change de nature quand il ne provient plus de l’ouvrier immigré de Fiat-Turin, mais de l’indien métropolitain de Rome ou de Bologne.

Ce dédoublement se produit au niveau du degré de militarisation du mouvement entre groupes armés de type BR qui constituent et continuent la tradition résistante de classe (Franceschini en est un bon exemple) et l’action subversive souvent violente et en tout cas illégaliste plus diffuse menée par des individus comme Cesare Battisti. L’unité de la perspective militaire833 représentée dans un seul individu et ses milices ouvrières à l’époque de Max Hölz, entre 1919 et 1921 en Allemagne n’est plus possible parce que la décomposition de la classe est si avancée que la question de son unité ne se pose plus.

Ce qui a manqué, nous semble-t-il, ce sont des médiations. Des médiations politiques ? Non, en tout cas pas politiques au sens traditionnel du terme, puisqu’on a pu voir en Catalogne 36 à quoi menaient les médiations étatiques et la participation anarchiste au gouvernement. Mais ce n’est pas une raison pour faire, comme Negri dans L’Italie rouge et noire, de cette absence de médiation (politique pour lui) un critère de jugement sur et contre la lutte armée.

Des médiations en tout cas, qui auraient objectivé un mouvement avant qu’il ne devienne pure subjectivité (comme à Bologne en 1977) ou délire stratégique (l’enlèvement de Moro par les BR). Cette pure subjectivité le rend volatil et il perd son autonomie au moment même où il la proclame quand la machine de guerre capitaliste impose le coup d’arrêt. La vision immédiatiste, qui l’emporte au sein des nouvelles classes dangereuses et de la nouvelle couche des intermittents du travail, va conduire à l’écroulement au premier vent violent contraire. C’est comme cela qu’on peut comprendre la vague de repentis qui va submerger tout le reste834. À poser la question constante des rapports de force, le mouvement en a oublié de poser des pratiques qui transforment le monde.

La question des médiations pose donc celle des alternatives835, de la tension vers la communauté humaine qui ne s’est développée qu’imparfaitement en Italie, dans un contexte encore très (trop) lié au résistantialisme induisant des pratiques de guerre civile hors de propos, même si beaucoup pensaient qu’il s’agissait là d’une guerre de classe, avec développement d’un discours idoine, assez éloigné de celui du Mai-68 français.

Le terrain de la violence est donc venu prendre une place démesurée par rapport au contenu et à la dynamique du mouvement. Par exemple, la question de l’illégalité n’a été abordée qu’en liaison avec celle de la violence, alors qu’elle n’était pas celle qui permettait la meilleure expression de l’autonomie du mouvement. En effet cela amenait le mouvement à une certaine contre-dépendance vis-à-vis de la violence de l’État et de ses supplétifs. Nous laissons la parole à Scalzone : « Ce terrain de l’illégalité non violente serait, ici et maintenant, la seule forme d’action avec un fort contenu d’autonomie possible : la seule forme d’action aujourd’hui capable d’enfoncer un coin entre légitimité et légalité, la seule qui me semble pouvoir échapper, d’une part à l’emprise “colonisatrice-domesticatrice” de l’assimilation (à laquelle sont exposées toutes les formes d’action dont le centre de gravité est placé sur le terrain de la représentation politique) et, d’autre part, à la condamnation de subir le destin d’hétérogenèse des fins, qui atteint désormais la “critique des armes”836 ».

Ce point de vue sur le rapport entre illégalité et non-violence est très intéressant, mais il ne constitue pas une solution magique. En effet, le Scalzone qui énonce cela en 1987 dénonce quinze ans plus tard les Tute bianche qui ont pourtant appliqué ces préceptes. La forme des actions ne fait donc pas tout ; elle manifeste souvent le niveau d’intensité de l’insubordination (par exemple la séquestration plutôt que l’occupation), mais pour en faire quoi, pour déboucher sur quelle alternative ?

À l’inverse de la France, le mouvement-68 italien en tant qu’événement n’existe pas. Si on adopte une périodisation courte, on en restera au Biennio rosso des années 1968-69. Si, à l’inverse, on adopte une périodisation globale, on peut dire qu’il court de 1962 avec la reprise des luttes frontales marquée par l’émeute de la Piazza Statuto, jusqu’au retour à l’ordre du milieu des années quatre-vingt. Si on veut déterminer une période moyenne, on parlera de la décennie 1968-1978, en essayant de suivre le fil rouge qui part du mouvement étudiant de 68, se prolonge presque immédiatement dans les luttes ouvrières de 69 qui perdurent sous différentes formes et types d’organisation jusqu’en 1973. Les années 1974 à 1976 peuvent alors être considérées comme une période d’extension de la lutte, de l’université à l’usine, puis au quartier et à la ville d’une part ; au logement, transports, aux femmes d’autre part et tout cela débouchera sur le grand dévoilement de 77.

Nous devons faire deux remarques par rapport à ces essais de périodisation. La première, c’est qu’ils marquent la différence avec le Mai français que nous avons défini comme événement et un événement dont la force a concentré sur deux mois tout le cycle de lutte italien. La seconde est que les deux périodisations longues qui indiquent une continuité ne doivent pas faire oublier la césure que constitue l’attentat du 12 décembre 1969 Piazza Fontana. À partir de ce moment, les agissements des forces de l’ordre ne seront plus perçus comme une sorte de contrepartie aux manifestations récurrentes, avec bavures et dysfonctionnements attendus de la part d’un « ennemi naturel » — pour reprendre une expression que Scalzone utilise dans son livre-bilan Biennio rosso (Sugarco, 1988) — mais vraiment comme le signe de la pesanteur et de la puissance de la machine étatique.

Il ne faut pas chercher plus loin le fait que le mouvement se soit alors posé une question jusque-là absente, celle de l’intervention politique violente, si ce n’est militaire et non plus seulement celle de l’autodéfense. Ce ne fut pas non plus sans conséquence sur le fait, qu’à partir de ce moment-là, le mouvement allait endosser de vieux vêtements théoriques sur un corps pourtant nouveau.

L’âme de 68 comme tendance à la communauté, a alors été quelque peu délaissée au profit, d’un côté, d’une revisitation des conceptions issues de la Troisième internationale, dans les BR, mais aussi parfois dans certaines tendances de PotOp, et de l’autre, de la découverte soudaine d’une vocation politique institutionnelle de la part de la gauche extra-parlementaire et parfois de LC, comme si le coup d’État au Chili pendait comme une épée de Damoclès sur la tête de l’Italie.

L’empreinte opéraïste sur le mouvement, malgré toute l’ambiguïté de groupes comme Potere Operaio et Lotta Continua, a fait que cette période a constitué une rupture avec le modèle de la révolution bolchévique. Dans les usines au moins, le mouvement a parfois renoué avec les pratiques syndicalistes-révolutionnaires et les pratiques d’action directe. D’une manière générale, il n’a pas adhéré au modèle du Grand soir, mais plutôt à celui d’un processus sans fin prévisible. La révolution n’a donc pas été manquée, même si finalement le mouvement a été défait. Il a permis de faire surgir des thèmes et des contradictions qui n’étaient pas envisagés dans les expériences antérieures. Le mouvement pouvait donc peut-être anticiper un horizon possible, mais plus du tout au sens du matérialisme historique et d’un sens de l’histoire nécessaire et naturel. La révolution était posée comme actuelle, immanente au niveau mondial, mais articulée localement comme le pensaient les Italiens, avec la thèse de l’Italie « maillon faible » du capital mondial.

Plutôt qu’une rupture brutale, le mouvement posait l’existence de micro-ruptures au sein d’un processus révolutionnaire. En bref, le communisme était perçu comme le mouvement en acte qui changeait les conditions existantes. Un mouvement communiste et non un mouvement pour le communisme.

Ce processus long n’est pas à confondre avec un gradualisme possibiliste ou réformiste, car les objectifs du mouvement (lutte contre toutes les institutions) et ses revendications (Vogliamo tutto ; più soldi e meno lavoro) ne permettaient pas une reconstruction de l’ordre existant, mais constituaient des éléments de déstabilisation aux contenus alternatifs insuffisamment affirmés.

Que la lutte armée comme objectif stratégique, ait pu interférer dans ce processus, n’invalide pas notre analyse, à partir du moment où celle-ci n’est pas vue comme phénomène purement extérieur ou a fortiori comme le produit d’un complot. Les raisons ne manquaient pas de franchir le pas, quand, d’un côté, l’État répondait à la révolte sociale par les bombes, et que, de l’autre, certaines limites du mouvement ont pu faire penser que le choix de la violence politico-militaire viendrait compenser une courbe déclinante du cycle de lutte. Il ne s’agit donc pas de condamner cette lutte armée, mais de la comprendre dans le cadre de ce cycle de lutte et de ses conditions spécifiques. Mais cela n’empêche pas de la critiquer comme forme autonomisée, qui ne pouvait que retomber dans les schèmes classiques représentés par le binôme guerre/politique.

Ces stratégies se révélaient inadéquates et sans issues dans une période où s’amorçait aussi une tendance à la révolution à titre humain et donc la possibilité d’un devenir autre qui ne suive, ni le modèle marxiste-léniniste de la guerre de classe, ni le modèle schmittien de l’insurrectionnisme.

 

Notes

825 – Sabotages, pratique des congés maladies les jours de grève syndicale (le jour de la grève des métallos du 25 septembre 1969, il y eut 20 % des salariés en arrêt maladie), démocratie ouvrière directe, etc.

826 – Par exemple au sein des ouvriers influencés par l’un des courants, celui de Franceschini et de la FGCI, qui formera les BR.

827 – Nous pensons que « le travail au noir » est un bon exemple de cela. L’expérience du collectif de La Barona, comme d’autres luttes dans les quartiers montre les apories de l’autonomie. Le développement parallèle du travail au noir et du chômage est facteur d’autonomie pour la force de travail, mais facteur passif même s’il y a tentative de se réapproprier le temps libre de la marge. Mais dès que l’autonomie veut être active en luttant contre le travail au noir, en demandant du travail pour les chômeurs ou en distribuant des vivres aux pauvres, elle perd cette autonomie en participant à une rationalisation du système à la marge.

828 – Cf. René lourau, L’auto-dissolution des avant-gardes, Galilée, 1980.

829 – Cf. L’exemple de Radio-Alice à Bologne, avec des revues comme A/Traverso puis Puzz. Comme l’a bien perçu la revue française Invariance, dans son no 5-6 de la série III (1980) : « Ce qui s’est manifesté avec le voyage sans but des surréalistes, repris sous une autre forme avec la dérive chère aux situationnistes, se retrouve, dans un autre contexte, dans la recherche de traverses qui a une saveur heidegerienne (le chemin qui ne mène nulle part). C’est la perte de référence mais aussi son refus » p. 15-16. Cette perte d’identité est aussi recherche d’un projet révolutionnaire qui ne peut plus être classiste. Elle pose les individus dans un rapport de tension à la communauté qui reste à définir ailleurs, mais qui passe par la fin de certaines représentations auxquelles cède encore le mouvement italien.

830 – Op. cit. p. 40-41.

831 – Un esprit du temps qui a consisté, à partir de l’initiative du PCI, à faire bloc derrière l’État, à faire bloc jusqu’à en sacrifier Moro, comme le dit un Leonardo Sciascia qui se sent indifférent par rapport à une ambiance qu’il qualifie de « mélodrame d’amour pour l’État » (A. Moro, op. cit., p. 38.)

832 – Op. cit., p. 65.

833 – D’après Hölz, « les camarades du KPD, du KAPD et de l’AAU y travaillaient en laissant de côté leurs différences organisationnelles. (Les milices ouvrières) regroupèrent tous les ouvriers révolutionnaires armés sous leur direction » (Max Hölz, un rebelle dans la révolution, Allemagne 1918-1921, Spartacus, 1988).

834 – Il est remarquable de voir un acteur de cinéma (Gian Maria Volontè) faire la leçon aux maîtres à penser de la gauche extra-parlementaire : « Prenons l’exemple d’un jeune de 20 ans, scolarisé, ouvrier social, fils de communistes, ex-résistants, partisans. Riche d’une expérience politique, il a commencé à militer vers 14 ou 15 ans dans les comités de base de son école, il parvient à la fin d’un itinéraire social, existentiel et politique […] au choix de la militance dans une organisation armée plus ou moins “sociale”, plus ou moins clandestine. Y a-t-il quelqu’un, parmi ceux qui étaient ouvertement opposés à ce choix qui s’est chargé de lui expliquer dans sa langue, avec son langage, en partant de ses prémisses, à l’intérieur de son univers de valeurs, qu’il y avait — en effet il y en avait — des erreurs, des apories, des culs-de-sac inévitables sur sa route ? Au lieu de cela, il n’a eu droit qu’à l’Unità, mais aussi à Il Manifesto, Lotta Continua et Avanguardia proletaria (qui) le décrivent comme un provocateur mercenaire, manœuvré, comme un monstre et un démon », (in L’Italie : le philosophe… op. cit., p. 268-269).

835 – Nous renvoyons ici à la dernière partie du livre de Jacques Wajnsztejn, Après la révolution du capital, L’Harmattan, 2007.

836 – Ibidem, p. 344.