Enfants de sans papier quelle solidarité ?

par Temps critiques

Réduire les événements autour des enfants de sans-papiers à une question de droit sociaux ou politiques, et ne voir dans le mouvement de solidarité qui s’est développé autour d’eux qu’un citoyennisme, sous prétexte qu’il exprimerait un légalisme pro-étatique, relève de la myopie politique. Que le citoyennisme manifeste un modernisme par rapport aux anciennes luttes prolétariennes et à leurs acquis sociaux est patent, dès l’instant où l’on se réfère encore à une orthodoxie révolutionnaire passée ; mais cela ne permet pas de saisir les mouvements en cours comme révolte contre les conditions présentes. En effet, il y a bien une dimension de révolte dans ces actions autour de sans-papiers et de leurs enfants, même si certains essaient de la rendre légitime en la faisant rentrer sous les oripeaux démocratiques. Une révolte faite de cette sensibilité humaine concrète et immédiate telle qu’elle peut s’éprouver entre individus à la sortie d’une école maternelle. Une révolte faite de résistance à la domination, qui engendre une solidarité directe, libre de tout intérêts particuliers à défendre puisqu’elle est orientée vers l’universalité de la communauté humaine. C’est pour cela qu’y participent des individus de toute condition et fort peu de militants. Que les habituelles “pleureuses” syndicales viennent apposer leurs signatures au bas de tracts* qui cherchent à orienter cette révolte vers leur cause, cela ne saurait surprendre puisque la “bavure policière” de l’école du xixe arrondissement parisien a d’autant plus suscité leur zèle qu’on ne les avait pratiquement jamais vu au cours des actions passées. Ces pratiques ne revendiquent pas forcément des droits (ça c’est la position de certaines associations), mais constatent un état de fait et agissent à partir de là. Que cela aboutisse à des régularisations de sans-papiers est une conséquence, mais ne recouvre pas le sens général de la lutte qui est justement de dévoiler le rôle de l’État qui est toujours de délimiter des en-dedans et des en-dehors.

Sur les 33 538 demandes de régularisation au titre de parents d’enfants scolarisés, 6 924 ont effectivement obtenu une carte de séjour. 26 600 autres, ni régularisés, ni expulsés poursuivent donc leur existence de sans-papiers (Le Monde, 28 mars 2007, p. 11). Lorsqu’il sera sorti de son hypnose électorale, l’État va sans doute s’occuper d’eux en les catégorisant. Mais il se trouve devant un obstacle politique de taille : supprimer la loi sur la scolarité obligatoire pour tout enfant vivant sur son territoire. L’École serait-elle la dernière institution de l’État-nation à réaliser encore une certaine médiation ? C’est effectivement pour cela que nous pensons que les luttes dans ce secteur sont importantes parce qu’elles questionnent la reproduction d’ensemble des rapports sociaux.

On ne peut qualifier ces actions de solidarité comme des substituts à ce que devraient être aujourd’hui des “luttes de classe”. Y voir un combat “révisionniste” qui reprendrait la filiation d’avec le mouvement ouvrier à travers la revendication des droits sociaux est un contresens. Il n’y aurait “révisionnisme” que si ces pratiques étaient contradictoires avec des luttes contre le capital, que si les individus troquaient le militantisme prolétarien pour le militantisme citoyenniste. Ce n’est pas le cas. Empêcher une expulsion en faisant un cercle humain défensif autour d’enfants scolarisés c’est refuser qu’eux et leurs parents subissent seuls les oppressions de la société capitalisée ici comme ailleurs ; c’est renouer avec l’universalisme et l’internationalisme révolutionnaire qui court, en France, de la Révolution à la Commune ; de février 1848 à mai 1968.

Notes

*. Cf. Tract d’appel au rassemblement du 26 mars signé par la fsu, le sgen-cfdt, sud-Education, fo, cnt, cgt, la fcpe et le resf.

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