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Quelques réflexions à partir de deux textes de Mathieu Amiech et Julien Mattern

par Jacques Wajnsztejn

I. Que la crise s’aggrave ?1

Ce texte reste à mi-chemin entre un énoncé de type marxiste sur la crise (crise de surproduction dans « l’économie réelle ») et des références implicites à des courants ou personnes qui ont abandonné ce type de référence comme l’Encyclopédie des Nuisances qui développe une vision catastrophiste de la crise de la « société industrielle », mais sans parler de crise de civilisation ou comme Guy Fargette pour qui la dégénérescence de ce qui fut appelé finalement à tort « le système capitaliste » conduirait à une « crise de civilisation ».

Bref, il me paraît difficile de discuter sur le fond, si ce n’est sur le titre lui-même : « Que la crise s’aggrave », ce qui supposerait une analyse de « la crise ». On ne peut pas dire qu’elle apparaît clairement dans ce texte puisque les auteurs superposent crise de civilisation et crise économique de surproduction sans qu’on sache bien le lien qui les relie toutes deux. Tout juste nous disent-ils qu’il n’y a pas d’incidence de la seconde sur la première ce qui porterait plutôt à penser qu’il n’y a pas vraiment de crise au sens économique du terme ou alors (ce que l’auteur ne dit pas non plus) que la crise n’est que le mode actuel normal de fonctionnement dans le cadre du « cours chaotique du capital » pour reprendre une formule que j’emploie dans un article du no 15 de Temps critiques (cf. tempscritiques.free.fr/spip.php ?article208).

Si on continue à distinguer crise de civilisation et crise économique on ne comprend pas non plus le questionnement de départ des auteurs de ce texte qui semblent réclamer une réponse valable pour les deux dimensions. Pourquoi alors citer Castoriadis qui était quand même parmi les fondateurs d’un groupe posant dans son appellation même (« Socialisme ou Barbarie »), un lien indissociable entre ces deux dimensions ?

Mais revenons à ce qui fait le titre de l’article.

Amiech et Mattern partent de la critique de François Partant, le précurseur des théories de la décroissance, pour y voir une contestation de l’ordre établi dans l’esprit de Mai 1968. Cela me paraît très rapide pour ne pas dire contestable. Tout d’abord la notion « d’esprit de 68 » est de celles qui font des ravages et il vaut mieux en revenir aux écrits et aux faits, à la lettre plutôt qu’à l’esprit. De la même façon que les mouvements de ces années expriment encore l’ancien (le fil rouge des luttes prolétariennes) et déjà le nouveau (la nécessité d’une révolution à titre humain), les positions du mouvement sur la technologie et le progrès sont encore très variées à l’époque. Marcuse épouse l’idéologie de la croissance des forces productives dans une perspective de généralisation de l’automation2 et l’Internationale situationniste n’est pas en reste (vive l’abondance, l’automation, l’appropriation des richesses) comme le montre bien J.-M. Mandosio3. À l’inverse, le mouvement hippy affirme une volonté de retour en arrière, de lutte contre le gaspillage et le confort inutile. Une critique sur laquelle peut venir se greffer un discours sur la pénurie et la nécessaire austérité qui sera repris plus largement à partir de la crise du pétrole de 1973-74. La théorie opéraïste née en Italie au début des années 60 est aussi très critique de la neutralité de la technique à travers les articles de Panzieri.

Cette ambiguïté de la critique vis-à-vis de la technique, à l’époque du dernier assaut révolutionnaire du xxe siècle se retrouve parfois au sein d’un même théoricien, par exemple Bordiga qui se livre d’un côté à des prévisions catastrophistes et pré-écologiques puisqu’écrites dès les années 50 et de l’autre à l’apologie d’inventions techniques grandioses produites par le capitalisme4.

Je crois que Partant était plutôt, de par sa formation et sa fonction sociale5, dans la continuité des positions d’experts commises par le Club de Rome sur la « Croissance zéro » en 1970. Une position qui cherchait à mettre au centre des préoccupations la sauvegarde de la planète dans une perspective technocratique plutôt que productiviste et industrialiste. Toutefois, à la différence de ces technocrates éclairés, il exprime une solide critique du capital et du « progrès » qui lui est attaché dans l’imaginaire collectif, mais il ne va pas jusqu’à critiquer la notion de besoin et il continue à opposer de « vrais » et de « faux » besoins. Il connaît mal les mouvements révolutionnaires des années 60 et plutôt mieux les mouvements alternatifs des années 70. Toutefois, il ne croit pas à leur réussite en dehors d’une situation où la crise économique s’aggraverait et forcerait donc la masse des individus à réagir.

La crise pétrolière qui par certains côtés aurait dû conforter des positions telles que celle du club de Rome en posant concrètement la question de la rareté relative des ressources naturelles, va au contraire la renvoyer dans les cartons. En effet, toute la sortie de crise va être centrée sur une restructuration mettant en avant la restauration des profits des entreprises à court terme et un retour rapide à des taux de croissance à la hauteur de ceux de la période précédente de façon à maintenir un niveau d’emploi menacé par une augmentation de la productivité basée principalement sur la substitution capital/travail. Par ailleurs, la crise et la restructuration vont largement participer à la défaite du dernier assaut révolutionnaire des années 60-70 en remplaçant la critique en acte du travail par les prolétaires et étudiants en une revendication pour le droit au travail et la lutte contre le chômage. On ne peut mieux dire la rupture qui s’opère là. Ce n’est qu’une fois enterré cet espoir révolutionnaire que les mouvements environnementalistes et écologistes vont se développer, mais rarement en écho aux mouvements de la période précédente (sauf en Allemagne et en France jusqu’à Malville).

La critique du progrès, l’anti-industrialisme sonnent avant tout comme le fruit d’une défaite avant d’être une prise de conscience même s’il est difficile de distinguer les deux moments6. Là encore, il y a rupture alors que les mouvements des années 60-70 sont encore dans l’entre-deux ou dans une discontinuité relative. Encore reliés au fil historique des luttes de classes, ils ne s’inscrivent pas dans la critique du progrès et de la croissance. C’est particulièrement net pour l’Internationale situationniste comme l’indique J.-M. Mandosio7 pour qui l’is est résolument pro-technologie, à preuve sa perspective anti-travail fondée sur la possibilité objective d’une automation complète. De même, les marxistes et les communistes radicaux n’ont pas une position très différente comme on peut le voir avec le livre de C. Bitot8 dans lequel il s’attache à faire le lien entre toutes les théories révolutionnaires élaborées à partir du milieu du xixe siècle et le mythe abondanciste qui repose sur l’exaltation du Progrès à travers les machines, la technologie et une perspective de domination sur la nature.

Pour schématiser, on pourrait dire que les mouvements écologistes (et féministes) sont bien dans la suite de 1968 mais ils ont besoin de la défaite de 1968 et de ses références encore essentiellement prolétariennes, pour se développer réellement sur leurs propres bases.

Quant à la critique de la société de consommation, quand elle est affirmée en 1968, elle ne l’est pas encore de façon morale et puritaine comme aujourd’hui9. Le gaspillage n’est pas perçu comme tel mais plutôt au sens de la « dépense » de Bataille.

L’ambiguïté de la période est bien rendue par Baudrillard dans son livre La société de consommation publié, justement, en 1968. Une critique féroce de cette société y côtoie une fascination évidente devant elle (le capitalisme de la séduction et la séduction par le capitalisme). Amiech et Mattern voient bien le basculement d’époque produit par les années 70, mais ils ne le voient que dans l’avènement de la technologie au sein d’une économie qui aurait triomphé de l’homme. Cependant n’était-ce pas déjà le cas au moment des deux révolutions industrielles ? C’est une ambiguïté qu’on trouvait déjà dans l’EdN ; la datation est à géométrie variable car il « faut » tout « expliquer » par des ruptures technologiques, réelles ou supposées. C’est l’image inversée de la conception marxiste qui tend à voir dans l’évolution des forces productives la source quasi exclusive de toutes les évolutions et révolutions10.

Il y a bien eu un changement qualitatif avec l’intégration de la techno-science au procès de production mais ce processus, comme je l’ai dit plus haut, n’a pas été subi. Il est le produit de la dépendance entre deux classes du capitalisme qui défendaient certaines valeurs en commun et cette dépendance s’est monnayée. Cette intégration de la techno-science a été rendue possible par des hausses de productivité acceptées par les travailleurs, à travers les revendications syndicales dites quantitatives, contre les bienfaits de la consommation et du confort. Et les luttes des années 60-70 (particulièrement en Italie) pour rompre la proportionnalité entre ces augmentations de productivité et le niveau des salaires ont été battues... mais la consommation continue !

On a parfois l’impression, à lire Amiech et Mattern, que la situation s’est dégradée aujourd’hui et que tout est régression. Mais alors pourquoi les individus ne se révoltent-ils pas ? Parce qu’ils sont soumis répondent Amiech et Mattern qui voient dans les revendications exprimées dans les grèves nationales un côté populiste et disons, récriminatoire, qui ne peut déboucher sur la révolte11. D’après eux, les individus ne comprennent pas un système devenu trop complexe donc ils lui obéissent. Il y a alors les individus atomisés et face à eux un « système ». Ils ne saisissent pas que ce « système12 » est en fait un rapport social que les individus reproduisent « en conscience », mais avec une conscience qui n’est pas la conscience de classe et encore moins une conscience critique. La vieille question léniniste - mais pas seulement léniniste - de savoir si la conscience est interne ou doit être apportée de l’extérieur n’a donc plus aucun sens aujourd’hui.

Le catastrophisme dont font preuve beaucoup de thèses avancées aujourd’hui sous une forme qui se veut politique est pourtant le produit d’un abandon de l’intervention politique parce qu’il y a une sorte de conscience de la perte du sujet révolutionnaire et une impression que le « système » a englobé ses anciennes contradictions internes. C’est d’ailleurs en partie vrai puisque la contradiction capital/travail n’est plus antagonique même si elle est encore source de conflits et qu’elle tend à muter vers d’autres contradictions dans le cadre de la crise du travail. À force de chercher en vain les prémisses de ces limites internes (souvent décelées sur le modèle ancien de la possible formation d’un mouvement social), beaucoup s’y perdent et ils se recentrent alors sur la recherche de prémisses externes à la crise. L’ancien messianisme révolutionnaire se transforme alors en un millénarisme attentiste (attendons la catastrophe pour qu’il en sorte quelque chose, comme auparavant les marxistes attendaient la crise finale). D’autres lancent des appels à la responsabilisation citoyenne peut être sous l’influence de Günther Anders.

Par ailleurs, les exemples donnés à la fin du texte (luttes du Chiapas et d’Oaxaca et plus généralement d’une partie de l’Amérique centrale et latine) sont peu probants surtout dans la perspective de l’autonomie [qui n’est de toute façon pas la mienne]. Ce sont des pays où il existe encore ce qu’on pourrait appeler une « base arrière » qui laissent supposer la possibilité d’une « agriculture paysanne » moins dépendante13 des conditions générales de reproduction du vivant par le capital. C’est d’ailleurs à partir de cette relative indépendance qu’un discours anti-capitaliste s’exprime. Toute proportion gardée, les alternatifs de Via campesina aujourd’hui rappellent le dernier projet de ce type dans un pays de grande tradition agricole comme la France, à savoir celui menés par les paysans du Larzac, mais il y a combien de temps ?

Aujourd’hui, la production n’est plus régie par le paradigme du producteur. Depuis que le capital tend à unifier son procès en intégrant la sphère productive et l’ancienne activité dite improductive, production agricole et consommation alimentaire sont devenues indissociables. Concrètement dépendant des matériaux, y compris transgéniques, que lui fournissent les firmes internationales, le petit producteur a perdu le contrôle du produit même s’il reste officiellement propriétaire. Comme dans l’industrie, le capital se débarrasse de la question de la propriété et de ses formes (Monsanto et compagnie peuvent s’accommoder de n’importe quel type d’agriculture, de n’importe quelle taille d’exploitation).

Dans les pays riches, largement dépossédés d’une connaissance séculaire des « lois de la nature », le producteur est soumis aux aléas des procédures sécuritaires européennes (principe de précaution, traçabilité du produit, normes de distribution) et aux changements des normes de production (subventions, quotas). Sur ces bases il paraît difficile de « faire sécession ». La sécession mêle forcément des conditions objectives (le chômage, l’inessentialisation de la force de travail, la formation d’une nouvelle catégorie qui reste pour le moment en bordure ou qui est rejetée à la marge du rapport social) et des éléments subjectifs qui viennent cristalliser un refus (contre-culture, révolte). La sécession ne provient donc pas essentiellement d’un sentiment d’insatisfaction car celui-ci est difficilement palpable au niveau collectif et mène plutôt à la recherche de satisfactions individuelles ou au repli14. Il me semble que le dernier moment historique de sécession (partielle) que nous ayons connu est celui qu’a réalisé une part importante de la jeunesse des pays capitalistes dominants à la fin des années 60. On en connaît les prémisses objectives que constituèrent le baby boom de l’après-guerre (classes d’âge plus nombreuses), l’allongement général de la durée de la scolarité et la formation d’une nouvelle catégorie qui n’est pas une classe, tout au plus une classe d’âge (période de latence entre enfance et entrée dans le monde du travail). Ce phénomène sera particulièrement bien mis en valeur par des revues ou groupes comme SoB, l’Internationale Lettriste puis l’Internationale Situationniste en France. Des beatniks de la fin des années 50 en passant par les hippies des années 60 et l’underground us jusqu’aux indiens métropolitains de Rome et Bologne en 1977 on va assister à un véritable soulèvement de la jeunesse, mais un soulèvement qui ne reste pas dans les nuages : désertion de l’armée américaine, lutte contre toutes les armées, attaques contre toutes les institutions et médiations, refus même superficiel parfois, d’une société bourgeoise à bout de souffle et qui devait s’effacer devant autre chose, la société du capital, une société où seraient levés bien des tabous, bien des obstacles à une nouvelle dynamique.

Rien de tel à l’horizon, aujourd’hui. J’ai souvent répété, par exemple dans le livre Mai 68 et le Mai rampant italien, que Mai 1968 était un événement au sens fort et qu’il ne pouvait être anticipé véritablement au niveau théorique. Il n’empêche que des prémisses étaient bien présentes même s’il n’y avait aucune automaticité de la révolte à en attendre.

Aujourd’hui où seraient ces prémisses ? Une partie de la jeunesse est bien laissée en marge, mais elle ne développe pas de contre culture et de valeurs propres parce que la société capitalisée ne connaît pas de zone d’underground (d’un côté, le hip-hop et le rap issus des banlieues ont été immédiatement intégrés à la nouvelle culture-jeune, de l’autre l’Internet, Facebook and Co. forment la culture dominante) et elle adhère grosso modo aux mêmes valeurs de l’argent et de pouvoir que le reste de la société. On pouvait être à la marge de la société bourgeoise, il est beaucoup plus difficile de l’être de la société du capital. D’un côté, les nouvelles « classes dangereuses » ne sont pas dangereuses au sens où la classe dominante l’entendait à la fin du xixe siècle-début xxe - la Première Guerre mondiale allait d’ailleurs régler cette question de manière brutale mais légale - car elles sont imprégnées des valeurs dominantes. Le discours n’a plus à se faire politique mais seulement sécuritaire alors même que la crise de la reproduction des rapports sociaux renforce les replis communautaires. Même dans un pays comme la France qui résiste mieux à cela qu’ailleurs le débat actuel sur l’identité nationale en fait foi15. Et d’un autre côté, les étudiants et diplômés sont des enfants des nouvelles technologies qui manifestent plus d’indignation ou au maximum de résistance que de révolte, d’esprit d’insurrection ou de sécession16.


Jacques Wajnsztejn
février 2010 repris et actualisé en octobre 2011


II. Remarques laborieuses sur la société du travail mort-vivant17

1) Société du travail mort-vivant ou société capitalisée ?

Pour Amiech et Mattern, un simple diagnostic comme quoi aujourd’hui le travail mort dominerait le travail vivant est premièrement insuffisant et deuxièmement présente le danger d’entretenir l’idée que la perspective qui en découle est celle de la fin du travail.

Je suis bien d’accord pour dire que le diagnostic est insuffisant, mais ce n’est pas pour la même raison. L’insuffisance ne provient pas d’une opposition entre travail vivant et travail mort qui serait devenue simpliste du fait de la mécanisation/automatisation, mais bien de la conception qu’ont les deux auteurs du travail lui-même. En effet, dans leur perspective (et celle plus générale de Notes et morceaux choisis), le travail reste un opérateur central de la définition du « système » de domination comme si le travail était encore réductible à la production au sens matériel du terme ou au « travail productif » au sens de l’économie classique et de Marx. C’est assez logique avec le point de vue d’ensemble qui, malgré son côté critique, continue à concevoir le travail vivant sur le mode du travail manuel, de la fabrication et du travail bien fait. C’est une vision assez proudhonienne qui conduit à faire d’un mode de produire (la production industrielle) l’ennemi principal. À cette aune on peut se demander s’il n’y aurait pas possibilité d’utiliser un « bon » capital » comme Proudhon voulait utiliser une « bonne » banque !

En fait, la notion de travail mort-vivant garantit, malgré toutes les transformations du procès de production, une certaine majesté au travail vivant comme si celui-ci, par nature, contenait déjà en lui de l’activité libre18. D’une contradiction on fait une essence. Ainsi Amiech et Mattern s’opposent aux théories de la fin du travail (Méda, Rifkin, Krisis) sous prétexte qu’il faudra toujours de la « participation humaine » (p. 43) au procès de production (surveiller, régler, réparer et gérer les nuisances). Mais le développement de ce type de travail veut seulement dire qu’aujourd’hui tout le travail est utile au capital mais parce qu’il est interchangeable et inessentiel, simple emploi qui ne crée aucune valeur en lui-même. C’est d’ailleurs ce que vous reconnaissez (page 43 toujours) quand vous dîtes qu’il y a « désœuvrement généralisé » et que vous opposez à ce désœuvrement encensé de façon cynique par Corinne Maier dans Bonjour paresse19, le Droit à la paresse de Paul Lafargue.

Tout le développement sur la domination du travail abstrait sur le travail concret est à relativiser ou du moins à replacer dans son histoire. Cette tendance est à l’œuvre dès que c’est le temps de travail qui vient mesurer les travaux concrets représentés par les produits, mais le caractère concret ne disparaît pas sinon on ne pourrait distinguer travail productif et travail improductif, travail simple et travail complexe. Ce n’est que lorsque le capital domine vraiment tout le procès de production, y compris ses formes pré-capitalistes (dans l’agriculture par exemple) comme ses formes post-capitalistes (à travers le développement du general intellect), qu’il détruit toutes les formes de métier au sens fort puis de professionnalité, qu’il transforme les qualifications ouvrières et techniciennes en compétences et employabilité pour le capital, qu’il réduit les différents types de travail en emplois indifférenciés se rapprochant toujours plus d’une variété de travail simple, qu’on peut dire qu’il y a domination du travail abstrait. Le travail abstrait n’est donc pas une spécificité du capitalisme en général. Il est un produit de la domination réelle du capital20.

Vouloir sauver la part d’œuvre contenu dans le travail vivant s’avère particulièrement artificiel quand le processus que je viens de décrire brouille justement les frontières, ce que nous indiquent d’ailleurs les polémiques autour des statistiques sur la répartition de la population active entre secteurs secondaire et tertiaire21.

Il me semble peu pertinent de définir l’œuvre comme rupture avec les cycles naturels et production de subjectivité humaine quand le développement du fluidisme, la fictivisation et la virtualisation des productions représentent justement des quintessences de cette rupture d’avec les cycles naturels. Du fait que les processus de subjectivisation qui en découlent nous apparaissent plus « pauvres » qu’auparavant, peut-on en inférer qu’ils n’existent pas ?

Par ailleurs, et là on retrouve une limite du concept même de « travail mort-vivant », le travail vivant n’a pas devant lui que du travail mort car le capital ne se réduit pas à du travail vivant objectivé et cristallisé même si ce travail mort accumulé forme du capital (en l’occurrence, du capital fixe). Ainsi, dans la société capitalisée le capital capitalise le travail vivant quand le salarié se considère lui-même comme un capital à faire fructifier, comme une ressource humaine, « sa » propre ressource humaine. C’est une situation très fréquente dans le secteur tertiaire et dans celui des nouvelles technologies. C’est une dimension qui me semble invalider la notion de travail mort-vivant. Le développement du General intellect et de types de travaux qu’on appelle aujourd’hui « cognitifs » ou « immatériels », mais dont le point commun est d’être liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (ntic) rend difficile une conceptualisation qui décrivait mieux la phase précédente, celle des années 60-70. Il me semble que la révolution du capital22 et aussi la révolution anthropologique qui lui est liée permet aujourd’hui de parler de « société capitalisée » parce que justement elle n’est plus centrée sur le travail même si son organisation sociale reste fondée sur le salariat. Ce concept rend mieux compte de la globalité et de l’unité du processus... et aussi d’une certaine irréversibilité (ni retour, ni page blanche).

Si cela fait déjà bien au moins un siècle que les rapports sociaux n’expriment plus des relations sociales directes parce qu’elles sont globalement médiatisées par un monde des objets que l’industrialisation a indiscutablement accélérée, la société capitalisée tente aujourd’hui de déréaliser cette médiation. En effet, de nombreux objets ont de moins en moins d’objectivité car ils ne sont que des signes ou des prothèses d’autre chose. À ce propos, on peut dire aussi que la globalisation constitue un nouveau stade de la totalisation d’un capital qui cherche à accéder à un universel (celui de la consommation signifiante et des nouvelles technologies) sans les médiations traditionnelles d’ordre culturel ou politique. Ce serait cet accès direct à l’universel qui ferait de l’individu de la société capitalisée (l’individu de la révolution anthropologique aussi) non pas le résultat d’un processus (comme dans la vision humaniste des Lumières), mais une prémisse même de son existence.

2) Le rapport au travail

Cette révolution du capital rend aussi plus complexe les formes de conflictualité et le rapport au travail. En effet, de la même façon que derrière votre concept de travail mort-vivant affleure une certaine nostalgie pour le travail vivant de l’époque artisanale, chez les thuriféraires du travail cognitif et de « l’entrepreneuriat politique » à la Negri affleure une certaine complaisance pour les nouvelles formes de travail qui mettraient en œuvre de l’activité et non plus seulement du travail « aux ordres ». Complexe aussi le rapport entre travail-production et travail-discipline.

S’il y a pu avoir, historiquement, une coexistence entre une position contre l’oisiveté et une position contre le travail au sein du prolétariat, c’est comme vous le signalez vous-mêmes, dans une phase historique particulière pendant lequel le mouvement ouvrier (une fois enfermé dans les « forteresses ouvrières ») fait de nécessité loi en utilisant sa condition d’exploité de façon à en tirer une positivité contradictoire qui échappe ou au moins déborde de toute part le fameux « travail du négatif » dégagé par la théorie révolutionnaire marxiste.

C’est ce qui saute à partir du dernier assaut prolétarien des années 60-70. Celui-ci, au moins en France et en Italie, peut être lu comme la rencontre manquée entre ce vieux mouvement ouvrier et celui du jeune prolétariat regroupant les os, les étudiants précarisés ou en passe de l’être23. S’il est juste de refuser la « critique artiste » (Tiqqun, Krisis), il ne faut pas confondre une critique anti-travail devenue idéologie et des luttes réelles qui rendent compte de l’insupportabilité des conditions de travail et de vie de prolétaires et salariés.

Le capital comme le travail et aussi la médiation/représentation qu’est la valeur ne peuvent être rattachés, comme vous le faites pourtant, à la seule dimension économique de la production d’un surplus. Les esclaves en Grèce ou à Rome étaient d’ailleurs de piètres producteurs de surplus et vouloir appliquer à ces sociétés la notion marxiste de surtravail est bien aventureuse. Vous le reconnaissez d’ailleurs à moitié en disant plus loin que l’existence de cet esclavage est liée à la subordination de la sphère de la reproduction [je dirais plutôt production ici] matérielle à l’activité. Plutôt que dans ce surtravail, la valeur apparaît et progresse dans le développement des échanges avec l’extérieur et avec l’affirmation de souverainetés politiques. Toutefois l’argumentation reste imprécise car on ne comprend pas bien comment interviennent les formes politiques nouvelles à cette époque (démocratie athénienne, République romaine, etc.) et quel est leur rôle dans ce processus. Il me semble qu’il y a là une mésestimation du rôle de l’État en général et de la fonction de puissance en particulier dans l’émergence de la valeur.

3) Le capital est puissance

Les deux auteurs se rattachent de façon étonnante à la théorie d’un « capital automate » alors que pourtant ils procèdent à une démonstration critique contre le déterminisme économique. Croient-ils vraiment que le processus de globalisation en cours depuis les années 80 soit le produit d’un capital automate ? N’est-ce pas plutôt une façon de changer les rapports de force et les rapports sociaux afin de produire une nouvelle dynamique ?

Le capital est une forme sociale. Parler de « capital automate est une illusion qui fait prendre la chose (par exemple la fonction technique) pour le rapport. La chose devient alors puissance sociale (c’est l’une des erreurs de Krisis24). L’objet se pose comme sujet.

Le capital automate est la version structuraliste de la main invisible des libéraux.

Pour revenir à quelque chose de plus concret, ce n’est pas parce que le travail vivant n’est plus central dans le procès de valorisation qu’il est devenu simple idéologie ou simple moyen de contrôle25. La stratégie de puissance de ce que nous avons appelé le niveau 1 de la globalisation26 passe bien par la production dans les niveaux 2 et 3 et par la mise au travail sous toutes ses formes. Le refus d’envisager un revenu garanti pour les travailleurs effectifs et potentiels en est le signe. Une production dont le sens se trouve de plus en plus élargi par l’extension du travail/emploi à des taches qui relevait avant de la sphère privée ou de la sphère d’activité non économique (le volontariat par exemple).

Domination du travail mort et fin du plein emploi ne sont synonymes, ni dans la théorie (cf. Keynes et sa théorie de l’équilibre de sous-emploi et aussi Marx suivant la façon dont on l’interprète27) ni dans la réalité si on considère que les demandeurs d’emplois sont toujours en plus grand nombre et qu’en valeur absolue le niveau d’emploi continue à augmenter.

Il n’y a pas plus d’automaticité de la crise du capital que de capital-automate. Tout cela relève d’un millénarisme sécularisé et inversé.

4) La société capitalisée englobe ce que certains appellent la société industrielle28.

Cette notion de « société industrielle » est très critiquable car premièrement, elle fait d’un moment de la dynamique du capital, son centre a-historique et a-politique. A-historique d’abord car finalement, la technologie sous la forme de ses différents types techniciens, parcourrait l’histoire de l’hominisation ce qui aboutit la plupart du temps à des polémiques sur le commencement de l’artificialisation et la perte du rapport à la nature (comme s’il n’y avait plus un rapport spécifique de l’homme à la nature !). Tout peut alors être mis au même niveau : la machine à vapeur, la bombe atomique, les ogm, les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Tous ces éléments ne représentent qu’une étape ou une variante du même processus, d’un même déterminisme qui est pourtant parfois critiqué par ailleurs. Que ces différentes innovations soient reliées à des rapports sociaux spécifiés ne retient pas l’attention. A-politique ensuite puisque ce serait le niveau technologique qui agirait de façon autonome comme si l’intégration de la techno-science au procès de production et au procès de vie était une évidence venue d’on ne sait où. Comme s’il n’y avait ni choix ni décision politique derrière tout ça29, comme si les problèmes sociaux n’étaient, pour l’essentiel, que des problèmes liés à la toute puissance de la technologie. Avec cette argumentation, à la limite tout ce qui se passe en milieu urbain et même rurbain n’a plus aucun intérêt. Le domaine des luttes possibles s’en trouve considérablement réduit.

5) Temps critiques et la fin du travail

Même si Amiech et Mattern font une distinction entre d’une part les thèses de la fin du travail (Méda, Rifkin et Krisis) et d’autre part notre critique du travail, ils nous y ramènent finalement. Or de fin du travail on ne peut trouver aucune trace dans nos écrits. Nous ne parlons en effet que d’inessentialisation de la force de travail dans le procès de valorisation parce que le capital domine maintenant la valeur (cf. L’évanescence de la valeur, L’Harmattan, 2004) ce qui renvoie à notre critique précédente de la notion de « travail mort-vivant ».

Par contre nous somme tout-à-fait d’accord avec les insuffisances qu’Amiech et Mattern soulignent en ce qui concerne les termes que nous employons et l’incohérence qu’il peut y avoir à conserver certains termes d’un corpus que l’on critique par ailleurs ou à ne pas suffisamment les expliciter. C’est aussi parce que vous n’êtes pas les premiers à nous adresser cette critique que nous avons essayé d’y remédier d’abord dans mon livre Après la révolution du capital (L’Harmattan 2007) et surtout dans l’article « Capital, capitalisme et société capitalisée » du no 15 de la revue Temps critiques (2010). Toutefois notre interprétation ne tend pas à envisager une dissolution du capitalisme sous d’autres formes émergentes, mais plutôt à prouver qu’il n’est pas un système ce qui n’est pas sans conséquence sur la façon de l’appréhender30. La relecture de Braudel ainsi que nos travaux autour du « capital fictif » (cf. J. Guigou et J. Wajnsztejn, Crise financière et capital fictif, L’Harmattan, 2008) nous ont permis de progresser en ce sens, mais nous restons ouverts à la discussion.

J. Wajnsztejn, octobre 2011


Addendum

Ce que j’ai écrit sur le travail mort-vivant et de petites discussions autour depuis, m’a fait penser à ceci que je n’avais pas encore développé : j’ai déjà dit que cette notion était critiquable, mais on pourrait quand même s’en servir pour critiquer la vulgate classique et marxiste de la valeur-travail en renversant l’ordre logique : dans la version traditionnelle, le travail mort ne fait que transmettre sa valeur au produit et c’est le travail vivant qui crée la survaleur à partir de la plus-value produite ; aujourd’hui, on pourrait dire, si on accepte encore ce cadre, que c’est le travail passé (les négristes diront le general intellect) qui créerait, pour la plus grande part, cette survaleur, le travail vivant ne constituant qu’une valeur résiduelle. À cet argument il nous est en général répondu par les pauvres arguments que soit il ne faut pas oublier que les machines doivent bien elles-mêmes être produites même si l’automation était complète, soit que même si le travail productif décline fortement dans les pays centres du capital et donc la production de plv aussi, elle continue de plus belle dans les pays émergents sous forme de plv absolue.

Toutefois, une telle acceptation du cadre proposée par cette notion de travail mort-vivant n’est pas acceptable comme j’ai essayé de le montrer dans mes notes. Pourquoi cela ? Pour deux raisons : la première est qu’il devient abusif de parler de travail mort dans le cas des « machines intelligentes » qu’on peut dire vivantes et que le travail vivant est souvent très passif dans le cadre des travaux déqualifiés. C’est ce que les sociologues ont appelé le processus de déqualification (individuelle)/surqualification (sociale) ; la seconde, c’est que travail mort et travail vivant se trouvent de plus en plus pris dans une combinatoire productrice d’une synergie qui est fondamentale pour la production d’une survaleur qui n’a pas grand chose à voir avec l’ancienne plus-value et qui participe bien, dans le procès de production, si on veut bien l’isoler du reste le temps de l’analyse, de l’évanescence de la valeur.

Tout n’est pas clair là-dedans et par exemple le fait que cette synergie ne puisse pas reposer sur du travail vivant déqualifié contredit la tendance forte à la déqualification qui est à l’œuvre depuis le début des années 70 au moins dans le secteur industriel.


JW le 24/11/2011

Notes

1 - Disponible sur le site du collectif Lieux Communs à l’adresse suivante : www.magmaweb.fr/spip/IMG/pdf_que_la_crise_s_aggrave.pdf

2 – Amiech et Mattern le reconnaissent d’ailleurs dans leur texte sur le travail mort-vivant.

3 – Jean-Marc Mandosio, D’or et de sable, Paris, Encyclopédie des Nuisances, 2008, (p. 43-58).

4Cf. A. Bordiga, Espèce humaine et croûte terrestre, Paris, Payot, 1978, 219 p.

5 – Il est d’abord cadre supérieur dans les institutions financières nationales et internationales, puis conseiller de certains États de pays en voie de développement.

6 – La critique théorique et pratique du capital et de l’État n’a pas été poussée assez loin.

7 – Jean-Marc Mandosio, Dans le chaudron du négatif, éd. de l’EdN, 2003 (p. 57-62) et D’or et de sable, éd de l’EdN, 2008 (p. 43-73).

8 – Claude Bitot, Quel autre monde possible ? Retour sur le projet communiste, Paris, Colibri, 2008, 274 p.

9 – Dans Notes et morceaux choisis, le moralisme transparaît souvent, il est fait appel à « notre sens des responsabilités » et les références concernent parfois des conservateurs anti-industriels comme Christopher Lasch.

10Cf. A. Dréan, « La société industrielle, mythe ou réalité », Temps critiques no 14 : tempscritiques.free.fr/spip.php ?article154

11 – Je crois que la question est plus complexe. Il y a effectivement des distinctions à faire entre des revendications, certes limitées, mais portées par des oppositions réelles et des slogans vides de sens.

12 – On retrouve cette idée de l’existence d’un « système » dans « iter ou la fabrique d’Absolu » de Bertrand Louart dans le no 8 (automne 2008) de la revue Notes et morceaux choisis à laquelle participent Amiech et Mattern. Un capital réduit d’ailleurs à sa dimension marchande semble être le nouveau Moloch qui fait face à des individus soumis comme à l’époque de la servitude volontaire de La Boétie. On retrouve la même idée dans divers textes de René Riesel dont les interventions pratiques sont souvent les bienvenues même si elles reproduisent parfois des postures avant-gardistes.

13 – Il ne s’agit pas, en effet, d’une autonomisation puisqu’on a à faire à des pratiques agricoles précapitalistes.

14 – Pour prendre un exemple, celui qui est insatisfait des programmes télés aura davantage tendance à zapper et finalement à se passer un DVD plutôt qu’à éteindre ou a fortiori casser la télé.

15 – Quelle contradiction de voir un « État républicain laïc » être tenté d’un côté de sacrifier l’une de ses spécificités qui est le poids de ses services publics et dans le même temps d’essayer de faire voter des lois qui maintiendraient ce service public comme jauge de ce qui est supportable ou non pour la société dans son ensemble, et ceci dans un souci d’éviter toute sécession qui s’effectuerait dans des replis communautaires ou dans le développement de gangs armés !

16Cf. « Les indignés : écart ou surplace. Désobéissance, résistance et insubordination »  : tempscritiques.free.fr/spip.php ?article283

17Cf. Notes et morceaux choisis, no 8, automne 2008, p. 17-77 (article écrit avec Julien Mattern).

18 – Ce qui est intéressant chez Arendt, ce n’est pas qu’elle caractérise nos sociétés comme des sociétés du travail, mais comme des sociétés de travailleurs sans travail ! « C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté [...] Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire » (Condition de l’homme moderne, Presses Pocket, p. 37-38). Le travail n’est plus au centre des rapports sociaux et des valeurs qui leur correspondent, il n’est plus qu’un moyen de survie difficile à satisfaire.
On pourrait même rajouter qu’avec la société capitalisée et la révolution anthropologique qui lui est liée, il y a aussi perte des activités et des caractères populaires traditionnels comme l’a bien montré Pasolini. Les idéologies populistes peuvent alors venir se greffer là-dessus même si elles n’agissent plus qu’à la marge, le centre étant occupé par l’individualisme démocratique et citoyen. C’est l’une des grosses différences d’avec la période des fascismes.

19 – Corinne Maier, Bonjour paresse : De l’art et la nécessité d’en faire le moins possible en entreprise, Paris, Éditions Michalon, 2004.

20 – Sur domination formelle et domination réelle du capital, cf. Marx, Un chapitre inédit du Capital, [traduction de Roger Dangeville, Paris, uge, coll. « Le monde en 10-18 », 1971, 320 p.] et pour une synthèse rapide : J. Wajnsztejn, Après la révolution du capital, L’Harmattan, 2007, p. 52-55.

21 – Pour les « industrialistes » (surtout des économistes et des marxistes), beaucoup de salariés étiquetés employés du tertiaire sont en fait des ouvriers et inversement pour les post-industrialistes (tenants de la société de consommation et des loisirs, surtout des sociologues et aussi certaines tendances critiques), beaucoup d’ouvriers du secondaire ne sont en fait plus que des employés presse-boutons. Mais dans les deux cas, on raisonne dans les termes anciens des années 70-80, c.-à-d. de la première phase de restructuration du capital).

22Cf. J. Wajnsztejn, Après la révolution du capital, Paris, L’Harmattan, 2007

23 – Sur ce point on peut consulter J. Guigou et J. Wajnsztejn, Mai 68 et le mai rampant italien, Paris, L’Harmattan, 2008.

24 – Et c’est sur cette erreur que se fonde leur division entre un Mars ésotérique et un Marx exotérique.

25 – Positions défendues par Naomi Klein dans La stratégie du choc (Actes Sud, 2008) et Riesel-Semprun dans Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable (Encyclopédie des Nuisances, 2008).

26Cf. l’article éditorial du no 15 de Temps critiques : « Capital, capitalisme et société capitalisée » : tempscritiques.free.fr/spip.php ?article206

27 – Je maintiens que Castoriadis a raison dans son affirmation de l’introduction à La société bureaucratique (Bourgois, 10/18) selon laquelle toutes les prédictions économiques du vieux Marx étaient fausses. Tout juste peut-on lui reprocher le « toutes » alors qu’on peut en sauver certaines comme celles contenues dans le « Fragment sur les machines » des Grundrisse. De toute façon, comme Marx, en bon dialecticien, parlait la plupart du temps en termes de tendances et de contre-tendances, on peut lui faire dire à peu près tout et n’importe quoi et c’est d’ailleurs ce qui a permis de fonder le marxisme. Ainsi, sur votre exemple de la crise de 1929, on peut toujours dire que c’est une crise de surproduction telle qu’envisagée par Marx, mais celui-ci n’avait pas prévu la mise en place progressive du mode de régulation fordiste à travers l’augmentation massive du pouvoir d’achat, de la consommation et de l’intervention de l’État-providence qui allait remiser aux oubliettes et pour longtemps, cette tendance à la surproduction.

28 – Si la critique de la notion de « société industrielle » me paraît importante il me semblerait abusif de reprocher à Amiech et Mattern leurs difficultés à expliciter des catégories comme « capital », « capitalisme » car qui peut vraiment le faire ? À Temps critiques, nous venons de passer plusieurs mois là-dessus et si nous pensons avoir déblayé un peu le terrain, nous n’avons quand même pas trouvé la pierre philosophale (cf. tempscritiques.free.fr/spip.php ?article206

29Cf. A. Dréan : « Contribution à la critique du catastrophisme », Temps critiques no 14 (p. 75) : tempscritiques.free.fr/spip.php ?article156.

30 – Le mot de « capitale » apparaît vers le xii-xiiième siècle (origine latine) et désigne un stock d’argent ou de marchandises puis il va se spécifier sous l’appellation de capital-argent, mais aussi, en rapport à la production, capital productif chez le physiocrate Quesnay, puis encore moyen de production chez Marx. Pendant la révolution de 1789, le terme de capitaliste est associé à la richesse en soi, à l’argent, à la finance et à la spéculation (rien de neuf sous le soleil de ce point de vue là) et pas encore à l’investisseur ou à l’entrepreneur. Capitalisme est donc le terme le plus tardif comme nous le soulignons dans l’article de tête du no 15 et le plus idéologique. Capitalisme et système capitaliste sont des termes qui n’apparaissent donc que tardivement sous l’effort d’Engels et de la seconde Internationale pour inscrire le socialisme dans un ordre de succession historique et progressiste de ce qu’ils considèrent comme des modes de production. Une forme sociale complexe, celle du capital (à la fois échange, accumulation, production et rapport social) va être réduite à une forme simple, celle du capital industriel qui sera effectivement la plus à même de stabiliser un ensemble de pouvoir et d’action qui feront « système » : le système capitaliste. De la même façon, la question de la valeur (c’est-à-dire finalement de la richesse) sera ramenée progressivement ramenée à celle de la valeur-travail. Comme la richesse n’est perçue par les économistes qu’au travers de la valeur, la puissance n’est pas reconnue dans la formation et le développement de la valeur parce qu’elle n’est pas évaluable. Elle n’a pas de valeur.
Le capitalisme est un concept politique qu’il a fallu remplir de substance alors que le capital est le nom qu’on donne à la richesse. Une richesse qui n’est pas simple accumulation de marchandises, mais puissance, échanges, commerce, flux de production et d’information, culture.

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